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« Monsieur le président de la République,
En tant que président de la République, vous êtes le garant du respect des valeurs qui rassemblent notre nation citoyenne. J’ai eu l’honneur de siéger à la table du conseil des ministres sous votre autorité. Et si je n’ignore pas nos désaccords, je sais aussi que nous avons en partage une certaine idée du respect dû aux êtres humains.
C’est la raison pour laquelle je m’adresse à vous pour me faire l’écho d’un trouble qui monte au sein de la population, bien au-delà des clivages partisans, concernant la politique d’asile de notre pays. Dans ce domaine, nous devons être fidèles à nos engagements, à notre humanisme, et à nos valeurs.
Or, au moment même où l’actualité nous présente chaque jour les images des migrants cheminant au péril de leur vie dans des embarcations de fortune où ils sont entassés par de véritables mafias exploitant la misère du monde, la situation faite aux migrants anciennement situés à La Chapelle et désormais régulièrement dispersés par les forces de police, est insupportable.
Pourquoi un tel acharnement ?
Qui sont-ils ? Nombre d’entre eux sont des personnes éligibles au droit d’asile, qui ont quitté leurs pays pour se soustraire à des dangers avérés. Nous n’ignorons pas que leur ancien campement était insalubre et posait des problèmes en termes de santé publique et de sécurité. Mais depuis l’évacuation de ce campement, la situation a franchi un nouveau cap dans l’inhumanité de l’accueil de ces personnes.
Ils font désormais l’objet d’actions régulières et permanentes des forces de police à leur encontre. La dernière d’entre elles, rue Pajol, a conduit les forces de l’ordre, dont nul n’ignore la difficulté de la mission, à faire usage de la force pour disperser les migrants et leurs soutiens. La population de l’arrondissement a pourtant manifesté sa solidarité envers les migrants déplacés. En vain.
Les gaz lacrymogènes alors utilisés blessent la conception que nous avons de notre pays. Les images de migrants embarqués de force dans des rames de métro sont sinistres. Les cris de révolte et d’incompréhension n’ont pas pu ne pas parvenir jusqu’à vous, Monsieur le président. Les questions se bousculent dans nos esprits incrédules. Pourquoi un tel acharnement contre de pauvres gens ?
Comment ignorer le périple qui fut souvent le leur pour parvenir sur notre sol ? Pourquoi ne pas avoir anticipé la situation ? Pourquoi ne pas dire la vérité sur l’insuffisance de nos capacités d’hébergement, que je connais bien, en tant qu’ancienne ministre du logement ? En matière de maintien de l’ordre, comment ne pas voir que les troubles engendrés par ces évacuations sont bien pires que les maux qu’ils prétendent conjurer ? Quel en est donc le sens ?
Waterloo moral
Qu’il me soit permis un mot plus partisan. Toute la gauche a en mémoire les tristes événements de 1996 quand la droite au pouvoir n’hésitait pas à pourchasser les migrants jusque dans les églises. Nous ne pensions pas alors que le désarroi et la colère qu’il nous faisait ressentir, nous les ressentirions un jour sous un gouvernement de gauche.
Avons-nous donc perdu et la tête et le cœur pour ne pas voir que nous faisons fausse route ? A force de professer un pseudo-pragmatisme, nous ne réglons pas les problèmes concrets et nous perdons la bataille des valeurs. Notre politique des migrations est un Waterloo moral.
Cessons d’être tétanisés par l’influence de l’extrême droite dans le champ politique. Elle se nourrit d’abord de nos reculs, de notre consentement à l’inacceptable et de notre inaptitude à redonner un sens au fracas du monde. Les migrants ne viennent pas de nulle part. Ils sont les fruits des soubresauts de notre planète. Penser que nous pouvons nous soustraire au monde commun en construisant une Europe forteresse est un mythe excluant, un mensonge halluciné, une fiction dangereuse.
L’exil économique fait peur ? Le droit d’asile est en berne ? Que ferons-nous demain des réfugiés climatiques ? Les questions sont indissolublement liées vous le savez. La lutte contre la corruption et le mal développement, la bataille contre le djihadisme, l’engagement contre le réchauffement climatique sont autant de batailles à mener conjointement pour un ordre du monde plus juste.
Il est grand temps de résister au vent mauvais de la xénophobie qui souffle sur tout le continent européen et inspire de bien mauvaises solutions aux gouvernants. Monsieur le président de la République, j’en appelle donc à vous, à votre autorité et à votre humanité. Vous avez, dans l’immédiat, le pouvoir de régler la situation des migrants de Pajol. Agissez avec discernement, célérité, sagesse et détermination.
Au-delà de la question du droit d’asile, en vérité c’est la question de l’accueil de l’étranger qui est posée. Le moment du courage est venu. Les humanistes doivent relever la tête, afin que la folie de politiques migratoires indécentes et mortifères soit entravée.
Une autre politique de l’immigration, à la fois responsable et cohérente avec nos valeurs est possible. Ce n’est pas à l’extrême droite d’imposer ses fausses solutions en polarisant l’ensemble du débat public. C’est à vous, Monsieur le président qu’il revient de faire entendre votre voix pour ouvrir une autre voie.
Au nom de la justice, des droits de l’homme et de la France, enclenchez un nouveau cycle politique en France et en Europe, en jetant les jalons d’une nouvelle politique de l’immigration, plus juste, plus réaliste, et plus conforme à notre histoire. »
Cécile Duflot (Députée EELV, ancienne ministre du logement)