Il y en en effet urgence à agir ! Mes différents articles de cette rubrique « Santé-Environnement », mais aussi dans d’autres rubriques comme « Energies », « Aliments « bio » vs industriels » et autres le montrent. Le texte complet de l’intervention d’aujourd’hui au Sénat : » Monsieur le Président,%%% Madame la Ministre,%%% Mes chers collègues, Après la discussion de la proposition de résolution de notre collègue Aline Archimbaud, c’est avec beaucoup de plaisir que j’ai l’honneur de vous présenter la première proposition de loi du groupe écologiste. Cette proposition de loi est le fruit de plusieurs années de travail, en lien avec les acteurs associatifs que je tiens à saluer pour la qualité de leurs propositions : Sciences citoyennes, le réseau environnement santé, Ecologie sans frontière… Je tiens également à remercier mes collègues Ronan Dantec et Aline Archimbaud, rapporteurs de ce texte, pour la qualité du travail qu’ils ont effectué, en lien avec les services des commissions. Présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, je n’oublie pas un sujet qui me tient à cœur: l’expertise et son indépendance ainsi que la lutte contre les conflits d’intérêts. Mon but est aussi de donner un débouché aux nombreux rapports du Sénat sur ce thème. A chaque scandale sanitaire et environnemental, revient la question de l’indépendance de l’expertise scientifique ainsi que l’existence d’alertes non entendues. Les mécanismes sont si semblables qu’on retrouve les mêmes mots pour dire le dysfonctionnement, je cite : sous la plume des rapporteurs Deriot et Godefroy sur l’amiante : « l’Etat a été anesthésié par le lobby de l’amiante » et sous la plume d’Aquilino Morelle sur le MEDIATOR : « Les laboratoires Servier avaient anesthésié les acteurs publics ». Et bien le parlement va les réveiller ! L’étude des scandales sanitaires montrent qu’ils relèvent de la même typologie. Ils ne sont pas dus à des concours de circonstance, mais ils sont la conséquence d’un système, système qu’il est urgent de réformer afin d’éviter de nouveaux drames. En matière de santé, l’exemple du Bisphénol A, dont l’interdiction a enfin été votée, est saisissant :
Après le polycarbonate et ses usages alimentaires en 1953, les résines polyépoxy sont utilisées comme revêtement à l’intérieur des boîtes de conserve dès 1970. Les bienfaits annoncés de cette innovation justifient pour certains l’urgence de son autorisation. Il s’en suit une mauvaise évaluation des risques. Dès le début des années 1990, les premières alertes sont lancées (cancérogénicité, perturbation endocrinienne) et les premières sanctions sont prises contre les lanceurs de ces alertes. Par exemple, l’industrie chimique lance en 1997 une campagne de calomnie contre le professeur Frederick Vom Saal qui dénonçait la dangerosité du Bisphénol A. Face à ces expertises scientifiques faisant état d’un danger pour la santé, les industriels gagnent du temps en finançant et en publiant un petit nombre d’études dont le seul message était que les chercheurs n’avaient rien trouvé. Il faudra attendre près de 10 ans pour que le législateur finisse par se saisir du problème : un texte sur les biberons proposé par le sénateur Yvon Collin et ses collègues du groupe RDSE en 2010, le rapport Barbier « perturbateurs, le temps de la précaution » en 2011, puis le combat de Gérard Bapt et l’interdiction dans les contenants alimentaires en octobre 2012… Il aura donc fallu attendre presque 20 ans entre les premières alertes et le retrait de la substance… 20 années durant lesquelles les manquements dans l’évaluation des risques sanitaires, et l’absence de protection des scientifiques alertant sur les dangers pour la santé ont laissé l’industrie chimique jouer avec la santé de nos concitoyens malgré les 700 études concordantes sur la dangerosité du Bisphénol A. Avoir identifié et dénoncé des éthers de glycol dangereux au sein de l’INRS vaudra au professeur André Cicolella, un licenciement en 1994. Il sera définitivement rétabli dans ses droits en 2000 par la Cour de Cassation… Pour avoir alerté sur des approvisionnements d’intestins de porcs venant de Chine, pour fabriquer un anti-coagulant, Jacques Poirier, immunobiologiste, fut licencié en 2003 par Sanofi. Pour avoir alerté sur les dangers du sel dans l’alimentation, Pierre Méneton, chercheur de l’INSERM, a été traîné en justice ; non aidé par son organisme, il a été acquitté. Dernier exemple : la courageuse Denise Schneider, habitante de Bourg Fidèle, alertant sur la contamination de son village par le plomb de l’usine Métal blanc. Le dossier ne sortit que grâce à France 3. Il fallut 10 ans de souffrance pour un jugement favorable en Cassation avec dommages et intérêts. Nous ne devons pas nous résigner à ce que les défenseurs de la santé publique ou de la protection de l’environnement, quand il y a apparition d’un risque ne trouve d’écoute au début que dans les médias et à la fin de l’histoire, en justice ! Ce qui touche à l’environnement est tout aussi saisissant, à savoir le cas du Régent et du Gaucho. Quand dès 1994, les firmes ont enrobé les semences de pesticides systémiques, afin, disaient-elles, de réduire les quantités de produits utilisés, l’étonnante évaluation de l’AFSSA conclut à : l’absence de changement sur le comportement des abeilles, l’absence d’augmentation du taux de mortalité des abeilles, Les premières alertes ne tardèrent pas, tout d’abord celles provenant des apiculteurs, dont Maurice Coudouin. Puis c’est le chercheur Jean-Marc Bonmatin qui démontra la nocivité du pesticide. Ses crédits de recherche seront réduits. Marc-Edouard Colin, chercheur de l’INRA montrera les effets sur la mortalité des abeilles en présence de taux plus de 1500 fois inférieurs à ceux annoncés par les laboratoires BAYER. On lui ordonnera d’abandonner ses travaux… En 1999 le ministère de l’agriculture interdit l’utilisation du Gaucho sur le tournesol. En 2003 le groupe d’experts mis en place par le Ministère de l’Agriculture conclut dans son rapport que « l’enrobage de semences de tournesol Gaucho conduit à un risque significatif pour les abeilles de différents âges ». La direction générale de l’alimentation niera tout effet possible sur la santé humaine et contestera le rapport. Le toxicologue Jean-François Narbonne rendra un rapport d’expertise sur le Régent qui démontre les effets neuro-, hépato et néphrotoxiques du fipronil. Il évoquera même un effet possible sur le développement cérébral du fœtus. Le Régent sera à son tour interdit en 2004. Un rapport de l’OPECST de 2005 commentera tous ces dysfonctionnements en écrivant que « l’atmosphère particulièrement lourde dans laquelle ces affaires se sont développées mérite d’être relevée et notamment les comportements de l’administration en cause, le Ministère de l’Agriculture et plus spécialement la direction générale de l’alimentation. Une proportion importante des chercheurs travaillant sur ces problèmes ont rencontré des difficultés ou ont été l’objet de pressions. » Enfin, que dire du manque criant d’outil public quand on voit la situation créée par l’étude « secrète » de Gilles-Eric Séralini sur la toxicité du maïs modifié NK603 et de l’herbicide ROUNDUP, 128 ONG signent un appel commun au gouvernement, tandis que le consommateur médusé découvre que l’AESA émet des doutes, elle dont la Présidente Diana Banati a du démissionner en raison de sa proximité avec BASF, Syngenta et … Monsanto. Tout le monde est conscient de ces dérives. Je crois que le rôle du législateur est désormais de renforcer le droit de la santé publique et le droit de l’environnement afin de limiter ou éviter des dommages en cours de réalisation. Le Sénat, que ce soit par le biais de l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, dans les diverses missions d’information ou dans le cadre de commissions d’enquête, a utilisé sa fonction de contrôle et rendu des rapports qui bien souvent dressent les mêmes constats, les mêmes failles, les mêmes dégâts et élaborent les même propositions. En général on constate : des arbitrages d’expertise publique en agence influencés par un ou plusieurs membres ayant des liens d’intérêt avec une firme à l’origine du produit ou du médicament incriminé. des citoyens, des ouvriers, des chercheurs ou des praticiens qui ont tiré la sonnette d’alarme bien avant que les pouvoirs publics n’agissent. et parfois ces « lanceurs d’alerte » se sont trouvés intimidés, calomniés, placardisés voire licenciés. Au final, pour quelques dysfonctionnements, il y a des malades, des décès, une perte de confiance entre société et science, et des milliards de coûts de réparation. En 2005, le rapport de l’OPECST intitulé « Risques chimiques au quotidien : quelle expertise pour notre santé » voté à l’unanimité, préconisait dans sa conclusion (je cite) : d’ « Elaborer un projet de loi sur l’alerte et l’expertise afin de garantir : l’écoute et la protection des lanceurs d’alerte le plus en amont possible, l’indépendance et la transparence des expertises, la qualité des relations entre le système de sécurité sanitaire et environnementale et les usagers. » En 2011, le rapport dit sur le Mediator de Marie-Thérèse Hermange conduit sous la présidence de François Autain proposait la mise en place d’une procédure protégeant les lanceurs d’alerte « qui le garantisse contre les pressions éventuelles exercées par l’industrie, sans pour autant permettre que le lancement d ’alerte soit instrumentalisé pour nuire à une entreprise ». Enfin, ce rapport proposait de « confier le contrôle de l’expertise de santé publique à l’autorité de la déontologie de la vie publique », terme du rapport Sauvé. Le terme « d’autorité de la déontologie » est intéressant mais son champ dépasse la santé et l’environnement. Pendant le Grenelle 1, dans le volet gouvernance, un vote unanime au Sénat et à l’Assemblée, encouragé par l’avis « très favorable » du gouvernement, inscrit dans la loi : « La création d’une instance propre à assurer la protection de l’alerte et de l’expertise afin de garantir la transparence, la méthodologie, la déontologie des expertises sera mise à l’étude. Elle pourra constituer une « instance d’appel » en cas d’expertises contradictoires et pourra être garante de l’instruction des situations d’alerte. » Mais il n’y eut pas de suite. A la clôture de la Conférence Environnementale, dont vous avez pris l’initiative, Madame la Ministre, le Premier Ministre s’est engagé à transformer ces vœux en actes en déclarant « l’indépendance des experts sera plus surement garantie». Ce texte propose donc de mettre en application l’ensemble de ces préconisations sur les lanceurs d’alerte et en matière d’expertise. Aujourd’hui, il est urgent de restaurer la confiance entre la société et les experts. Les conflits d’intérêts ne sont repérés que par les déclarations des chercheurs. Ainsi pendant la pandémie grippale de 2009, les doutes croissants des citoyens se sont nourris des négligences de nombreuses instances dont le Haut Conseil de la Santé Publique sur la vérification des liens d’intérêts, malgré les règles qui s’imposent à elles. Le drame de l’amiante, ses milliers de morts, de malades en souffrance, et de contaminés en sursis repose sur une dangerosité vite identifiée par les acteurs de terrain : inspecteur du travail en 1906, ouvrières d’AMISOL dès 1970, ouvriers de Condé sur Noireau dès 1955, enseignants de Jussieu dès 1974… Mais là aussi la présence de chercheurs non indépendants au sein du Comité Permanent Amiante, mélangeant autorités publiques, industriels, soucieux de protéger leurs intérêts a différé les bonnes décisions. Je sais le contexte exceptionnel de crise, je sais la parcimonie avec laquelle doit être engagé l’argent public, et c’est précisément pour économiser des vies, mais aussi les milliards que nous coûtent les drames sanitaires que je vous propose cette autorité indépendante. Si demain le gouvernement trouve une solution d’égale exigence, invente une cellule déontologique et scientifique auprès du défenseur des droits, ou remanie en grande profondeur la HAS, l’étendant au champ environnemental, et rendant la commission de transparence à l’agence du médicament, pourquoi pas ? Envisager un dispositif à faible coût regroupant diverses personnes détachées partiellement est aussi imaginable. Mais il ne faut rien céder sur l’indépendance. L’article premier de la proposition de loi propose la création d’une Haute Autorité, ou du moins d’une entité crédible et indépendante vis-à-vis du système d’expertise en place. C’est le plus souvent à la suite d’une impasse dans l’évaluation institutionnelle qu’une personne devient lanceur d’alerte, il faut donc prévoir qu’une instance puisse donner suite à cette alerte, instance qui, parce qu’elle ne fait elle-même pas d’expertise et qu’elle n’est pas spécialiste du sujet, aura le recul nécessaire pour s’attacher aux méthodes plutôt qu’aux positions déjà structurées. Les compétences des membres de cette autorité porteront sur la déontologie, la méthodologie et les principes directeurs de l’expertise. Elle pourra se saisir d’office, mais les saisines les plus fréquentes viendront théoriquement des associations, des syndicats et des personnes impliquées dans une alerte. Cette future instance sera composée de membres du conseil d’Etat, de la Cour de Cassation, de parlementaires de l’OPECST, des responsables des missions d’expertise collective des grands organismes de recherche qui contribuent a faire avancer la technique des expertises collectives et la mise au point des principes directeurs. La présence des représentants des agences est également importante, en veillant à intégrer les personnes ayant travaillé sur la déontologie de l’expertise plutôt que celles en charge de dossiers spécifiques. La présence des représentants d’associations ouvre la procédure à la société civile, tout comme celle des syndicats assure la présence des premiers concernés. D’autre part, le présent texte prévoit l’exercice d’un droit d’alerte en matière sanitaire et environnementale. Avant toute chose, il faut préciser que le lanceur d’alerte n’est pas une personne identifiée dans son entreprise ou dans son laboratoire qui serait investie d’une mission précise… C’est une personne, un chercheur ou un salarié qui au hasard de sa vie professionnelle se trouve confronté à un risque qu’il identifie comme sérieux, et dont il ne parvient pas à faire valoir la prise en compte. Le statut de lanceur d’alerte protège le message, pour que les institutions l’entendent, et celui qui l’a émit pour qu’il ne soit pas inquiété. Loin d’ouvrir la boîte de pandore des vocations d’alerteurs, ce texte définit un protocole raisonné, sanctionne les communications malveillantes et non fondées, s’éloigne des aléas médiatiques. A l’émotion nous préférons la raison. Ce texte distingue les personnes salariées, qui risquent des mesures discriminatoires de la part de leur employeur (comme cela est arrivé à André Cicolella) ou les personnes non salariées qui elles risquent des actions en justice sur le terrain de la diffamation (Je pense à Véronique Lapidès attaquée après avoir observé un nombre élevé de cancers parmi les enfants fréquentant une école maternelle construite à Vincennes pour partie sur le site d’une ancienne usine chimique). Je ne dis pas que se valent le niveau de connaissance de nos chercheurs et la moyenne des savoirs et savoir faire de la population en matière d’expertise. Mais j’affirme que les alertes de salariés qui repèrent une anomalie, une pathologie induite ou une toxicité, ne peuvent qu’enrichir les hypothèses du chercheur par leur connaissance du terrain et la permanence de leurs observations. . D’ailleurs, les salariés sont demandeurs de ce droit. J’apprécie les propositions faites en ce sens par les syndicats, qui conjuguent la légitimité du comité d’hygiène et de sécurité et la mission d’écoute et de transmission de l’alerte. Je profite enfin de cette tribune pour répondre aux questionnements sur ce texte… Voulons-nous créer une agence d’expertise de plus ? Non, cette Haute Autorité n’exercera aucune mission de recherche ou d’expertise. Elle ne se substitue pas aux laboratoires de recherche ou aux agences de sécurité sanitaire. Par sa veille elle garantit le bon fonctionnement, l’indépendance et l’efficacité de l’expertise. On peut comparer cette Haute Autorité à la CNIL qui n’a pas pour mission de fabriquer des fichiers, mais qui veille à ce que les fichiers existants ne contreviennent pas aux libertés individuelles. N’avons-nous pas confiance en nos chercheurs? Je tiens à affirmer solennellement que la quasi totalité des chercheurs rassemble compétence et éthique. Néanmoins, tous les rapports parlementaires sur les scandales sanitaires montrent que des arbitrages ont été modifiés par la présence de certains chercheurs liés aux produits qu’ils expertisaient par des intérêts professionnels ou financiers. Est-ce un manque de confiance dans nos agences? Les agences ont marqué un véritable progrès dans l’architecture de l’expertise. Progrès car elles séparent l’évaluation du risque et la gestion du risque. De plus elles ne cessent de s’améliorer avec par exemple l’apparition de comités d’éthique. Mais il est préférable de ne pas être juge et partie, et cette proposition de loi sera également, je l’espère, le début d’une réforme et d’une refonte de toutes nos agences que je crois trop nombreuses. J’ai moi-même recensé 50 instances en charge des produits chimiques. Cette Haute autorité ne va-t-elle pas provoquer de nouvelles dépenses? Elle va surtout engendrer des économies. Oui il faudra dépenser un peu pour la faire fonctionner… Mais il me paraît intéressant de vous rappeler quelques chiffres : Les compensations du Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA) s’élèvent à 2 milliards d’euros, le désamiantage de Jussieu c’est 1,8 milliards… Pour l’instant le coût du scandale du MEDIATOR se chiffre autour de 1,2 milliards… Je peux également parler du coût lié à la réparation des dégâts cardiaques causés par le MEDIATOR, ou le coût à venir de l’ablation des prothèses PIP et la chirurgie réparatrice. Evoquons aussi le coût des victimes des hormones de croissance, celui des irradiés d’Epinal ou les soins induits par des produits encore autorisés comme certains perturbateurs endocriniens… Allons-nous chaque année créer de la douleur et dépenser en réparation des milliers de fois plus qu’en prévention ? Madame la Ministre, mes chers collègues, les sénatrices et sénateurs du groupe écologiste ont choisi de proposer ce texte devant le Sénat en raison de l’urgence à agir. Il peut être amélioré, et je ne veux pas croire que le travail en commission, s’il a été difficile, marque une volonté de le faire échouer pour des raisons purement politiques. En proposant ce texte, les écologistes agissent avec conviction, mais aussi avec respect du travail parlementaire accumulé sur ce sujet depuis des années. Nous agissons comme des lanceurs d’alertes législatives afin de garantir aux citoyens une sécurité sanitaire et environnementale hors de tout soupçon, et je ne doute pas que vous saurez nous entendre. Si nous réussissons, nous dédierons ce progrès à Irène Frachon. «