La France est enfin décidée à tourner la page du mercure dentaire C’est un revirement total de position : « compte tenu des préoccupations environnementales et des questions émergentes relatives aux conséquences de la multi-exposition et aux effets des faibles doses, […] les autorités françaises ne s’opposent pas à une suppression des amalgames au mercure dans le traitement de la maladie carieuse. »[i] Nous félicitons vivement les ministères de l’Environnement et de la Santé qui, rompant enfin avec l’argumentaire d’une Afssaps totalement compromise dans ce dossier, arrachent la France, consommatrice du tiers des amalgames de toute l’Europe[ii], à la place honteuse où elle campait jusqu’à présent[iii]. Nous croyons que cette annonce pèsera très favorablement dans le cadre de la révision de la stratégie communautaire et des négociations internationales sur le mercure où elle s’inscrit. La victoire est considérable pour Non Au Mercure Dentaire, qui se bat sur ce dossier depuis quinze ans, ainsi que pour les associations qui l’ont rejointe ces dernières années en dénonçant la toxicité de ces « plombages » dont on a rempli les bouches de tous les Français… alors qu’ils sont composés pour moitié de mercure, une substance si dangereuse qu’elle est interdite de poubelle !
C’est aussi une belle récompense posthume pour le médecin lanceur d’alerte Jean-Jacques Melet qui, du fait même de son alerte, s’était trouvé en butte à l’hostilité du Conseil de l’Ordre des médecins et de celui des dentistes jusqu’à son suicide, en 2005. Cette avancée majeure ne doit pas cependant inviter au relâchement. Il va falloir veiller à ce que la transition vers une dentisterie sans mercure se fasse dans les délais les plus brefs, et s’assurer que les praticiens soient accompagnés dans cette étape délicate. Les dentistes français n’ont pas été suffisamment formés à utiliser des matériaux d’obturation alternatifs, dont la résistance et la longévité dépendent de la qualité de la pose. Il va falloir surtout s’assurer que tout travail sur l’amalgame se déroule désormais dans les conditions les plus précautionneuses possible : en effet, c’est quand on fraise l’amalgame qu’il libère le plus de vapeurs de mercure, si bien que, sans protocole rigoureux, ces interventions présentent des risques majeurs d’empoisonnement. Il faudra aussi que les patients intoxiqués bénéficient d’une reconnaissance et d’une prise en charge adéquate : à ce jour, ils sont condamnés soit à une errance médicale, soit à s’exiler pour obtenir des soins dans les pays voisins, car les médecins français n’ont appris ni à diagnostiquer ni à traiter l’intoxication chronique au mercure. Nous devrons obtenir enfin la prise en charge financière par la Sécurité Sociale de la désintoxication, qui est à ce jour entièrement supportée par les patients, ce qui est inacceptable. Faillite de l’Afssaps Depuis le commencement de notre action, nous avons pu mesurer combien l’agence sanitaire a fait entrave à l’émergence de la vérité. Le rapport de l’Afssaps de 2005 sur le mercure dentaire, qui concluait à l’absence de risques pour la santé, est un modèle d’incompétence et de partialité. Le protocole qu’il instaurait à destination des « personnes qui présentent des troubles qu’elles estiment liés à la présence d’amalgames dentaires » était manifestement destiné à psychiatriser les patients. L’arrivée de M. Maraninchi à la tête de l’Afssaps, en février 2011, a fait renaître un peu d’espoir. Les associations, reçues en octobre 2011, ont obtenu le retrait du rapport de 2005 et l’assurance de la mise en place d’une nouvelle expertise, à laquelle elles devaient participer et qui devait être terminée début 2012. Depuis lors les associations, malgré leurs nombreuses relances, n’ont quasiment aucune nouvelle. Nous observons donc, sous le changement de nom (l’Afssaps est devenue l’ANSM en mai 2012) une parfaite continuité des pratiques, caractérisées par un fonctionnement opaque et le mépris de la société civile. Dispositifs médicaux : un no man’s land réglementaire La déontologie de l’Agence n’est pas seule en cause. Le scandale des amalgames dentaires, comme celui des prothèses PIP, a mis en lumière l’incroyable carence sanitaire dont ont pu bénéficier les Dispositifs Médicaux (DM), cet immense ensemble hétéroclite de produits de santé destinés à la prévention et aux traitements médicaux. Contrairement à ce qui se passe pour les médicaments, en Europe, c’est aux fabricants qu’incombe la responsabilité de la mise sur le marché des DM, ainsi que la surveillance post-commercialisation. Dans ce processus, l’agence sanitaire joue simplement « un rôle de contradicteur des opérateurs économiques […] lorsque la sécurité sanitaire et la santé publique sont en jeu. »[iv]. Ce système de contrôle est incapable de garantir la santé des patients, notamment en ce qui concerne les DM invasifs (prothèses, stérilets, etc.). Pour les DM présentant des risques importants, nous demandons par conséquent : a) L’interdiction a priori de toute substance reconnue comme dangereuse pour la santé et/ou pour l’environnement, qu’elle soit Cancérogène, Mutagène et Reprotoxique (CMR) et/ou immunotoxique et/ou perturbateur endocrinien et/ou neurotoxique et/ou Persistant Bioaccumulable Toxique (PBT)[v]. b) Pour les matériaux exempts de ces substances, la mise en place d’une procédure d’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM), sur le modèle des médicaments, incluant des tests de toxicité cellulaire et des études chez l’animal. Le Parlement Européen a adopté le 14 juin dernier une résolution allant dans ce sens[vi]. Il importe à présent que les législateurs mettent au plus vite un terme à une situation injustifiable où, derrière l’alibi bouclier de la compétence d’agences quasi autocrates, le système de santé lui-même fait encourir aux patients et à l’environnement des risques inconsidérés. À ce jour, d’autres Dispositifs Médicaux contenant des matériaux toxiques sont utilisés de manière extrêmement courante : ainsi des composites dentaires contenant du bisphénol A, des poches à perfusion contenant des phtalates ou des prothèses de la hanche en chrome-cobalt. En attendant une évolution de la réglementation européenne, nous attendons de l’ANSM qu’elle se saisisse immédiatement de ces questions. » [i]. « Observations des autorités françaises en réponse à l’étude préliminaire du cabinet BIO-Intelligence Service sur le mercure dans les amalgames dentaires et les piles, présentée le 26 mars 2012. » Le rapport de BIOIS et les contributions des parties prenantes sont disponibles à cette page : http://ec.europa.eu/environment/chemicals/mercury/index.htm [ii]. Donnée issue du rapport de BIOIS, p. 48. [iii]. En 2010, la France avait été le seul pays de la communauté européenne à s’opposer officiellement à l’abandon des amalgames, sur avis de l’Afssaps. [iv]. A. Audry, J.-Cl. Ghislain, Le Dispositif Médical, Que sais-je, PUF, 2009, p. 30. M. Ghislain est directeur de la Direction de l’Evaluation des Dispositifs Médicaux (Dedim) à l’ANSM. A ce titre, il est responsable du rapport de 2005 sur le mercure dentaire ainsi que de sa présente actualisation. En outre, il faut noter que l’agence n’a pas tenu son rôle de « contradicteur » dans ce dossier. A titre d’exemple, il est de sa compétence de demander qu’un test qu’elle estime nécessaire soit inscrit dans le protocole de marquage CE d’un DM. Un ingénieur matériaux, expert de la corrosion et intervenant en Faculté dentaire, avait adressé début 2004 une lettre à l’Afssaps pointant l’absence de tests reproduisant la situation de l’amalgame en bouche. L’agence ne lui a jamais donné de réponse et n’a pas tenu compte de cet avis d’expert. [v]. Rappelons que le mercure élémentaire des amalgames relève de toutes ces catégories. A l’exception de la neurotoxicité, l’interdiction a priori à laquelle nous appelons s’applique déjà aux pesticides, conformément au règlement de l’UE du 11/07/2009 entré en vigueur le 14/06/2011. Comment expliquer que les produits de santé, notamment ceux que l’on implante dans le corps, échappent à une précaution qui s’impose avec tant d’évidence ? [vi]. http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=MOTION&reference=B7-2012-0302&language=FR