Audit évoqué sur MEDIAPART sur l’immigration, et à lire __[ICI|http://www.mediapart.fr/files/auditelus.pdf|fr]__. Une étude fort complète, sérieuse ( pour une fois ), pluridisciplinaire et très bien documentée. %%% A lire en entier, avant la tempête tournée vers le sensationnel, l’irrationnel et le fantasme des périodes électorales. Celle de 2012 commençant très mal et promettant de voler très très bas. Pour réfléchir au lieu de recracher des lieux communs faux et dangereux, servis par des apprentis sorciers qui nous mèneraient à des troubles graves … volontairement ou pas. __Conclusion, éloignées des lieux communs : «On a dit “nos capacités d’accueil sont limitées, désolés, il va falloir réduire les flux”… C’est assez intéressant de voir qu’en réalité une politique démographique, si on peut utiliser ce grand mot, c’est quand même fondamentalement de devoir faire avec, c’est-à-dire d’accueillir le surcroît de population imprévu et les migrants en font partie. À la différence qu’il y a des époques où on va les chercher.»__ __La trame de l’étude et les réponses__ 1. Y a-t-il trop d’immigrés en France ? 2. Les immigrés sont-ils trop peu qualifiés ? 3. Les immigrants sont-ils trop «différents» ? 4. Les immigrés coûtent-ils cher à la France ? 5. Les immigrés font-ils baisser les salaires ? 6. Les immigrés prennent-ils les emplois des natifs ? __7. La France manque-t-elle de logements pour accueillir les immigrés ?__ __1. Y a-t-il trop d’immigrés en France ?__ «Il y a à peu près 200.000 étrangers supplémentaires qui sont autorisés à séjourner en France, cela représente, il faut s’en rendre compte, la taille d’une ville comme Rennes, par exemple. Mon objectif, c’est de réduire ce nombre de 20.000», a déclaré Claude Guéant, sur TF1 le 15 avril 2011, tandis que Marine Le Pen plaide pour l’immigration zéro. Décrivant un «monde de sédentaire», le géographe Gildas Simon a rappelé, lors de son audition, que le nombre des migrants internationaux s’élève aujourd’hui à peu près à 230 millions de personnes, dont 200 millions en situation régulière, selon la division de la population de l’ONU, soit 3,3% de la population mondiale. À propos de l’immigration en provenance d’Afrique subsaharienne, qui constitue un objet d’inquiétude récurrent de Nicolas Sarkozy («Il y a 475 millions de jeunes Africains qui ont moins de 17 ans. La France est à 14 kilomètres de l’Afrique, par le détroit de Gibraltar», avril 2008), le démographe Cris Beauchemin dément l’image de l’Afrique terre d’exode. Les arrivées de migrants subsahariens se sont certes intensifiées depuis les années 1970, mais la part des Subsahariens demeure minoritaire parmi les immigrés: en France, elle s’élevait à 12 % en 2004, alors que 35 % d’étrangers venaient de l’Union européenne, 31 % du Maghreb et 17 % d’Asie. En nombre, l’Hexagone se situe dans la moyenne européenne (5,2 millions en 2008, soit 8,4% de sa population).
L’économiste Joël Oudinet précise par ailleurs qu’«on estime entre 200 et 400.000 le nombre d’étrangers en situation irrégulière en France. 400.000 personnes, cela représente 0,6 % de la population française. La proportion est équivalente au Royaume-Uni. Elle est de 1,2 % en Allemagne, de 1,1 % en Italie et de 3,2 % en Espagne». En matière d’entrées et de sorties, la France figure parmi les pays développés qui ont accueilli la plus faible proportion d’immigrés. «Entre 1995 et maintenant, indique l’économiste, la part des étrangers en Espagne a augmenté 6 fois plus vite qu’en France; au Royaume-Uni, 3,5 fois plus vite; en Allemagne, 1,8 fois plus vite qu’en France; 5 fois plus vite aux États-Unis.» Joël Oudinet soutient même que la France est, «avec le Japon, un des pays riches qui a le plus maintenu ses frontières closes». Non seulement il n’y a pas trop d’immigrés mais les flux ne doivent pas se tarir. Nombre de pays de l’Union européenne verraient leur population baisser sans cet apport. La France n’est pas dans cette situation, en raison du nombre élevé des naissances. Mais elle ne peut pas se passer d’immigration. Le seuil de remplacement de la population étant de 2,1 alors que son taux de fécondité est de 1,8, il manque 100.000 naissances par an pour assurer le remplacement des générations. «Un flux migratoire d’une ampleur à peu près comparable permet de combler ce déficit», souligne l’économiste Didier Blanchet. Soit 100.000 entrées nettes par an, ce qui correspond au rythme actuel des entrées et sorties (le chiffre de 200.000 avancé par Claude Guéant ne correspond qu’aux entrées sans tenir compte des sorties du territoire). __2. Les immigrés sont-ils trop peu qualifiés ?__ C’est l’une des idées reçues les plus tenaces. Selon l’Insee, la part des immigrés diplômés de l’enseignement supérieur est passée de 12 à 25% entre 1990 et 2007. Elle se rapproche donc désormais de celle des natifs (29% en 2007). Au cours de la même période, la proportion des immigrés dépourvus de diplômes a chuté de 53 à 37%, même si elle reste trois fois supérieure au pourcentage des natifs sans diplôme. «Les Subsahariens sont plus diplômés du supérieur que la moyenne des immigrés, et plus diplômés du supérieur que la moyenne des personnes qui vivent en France métropolitaine», indique Cris Beauchemin, même si les femmes sont, elles, moins bien loties. Cette situation contredit l’idée selon laquelle la «misère du monde» se presserait aux frontières de la France. Elle s’explique par le fait que l’émigration, en particulier du Nord vers le Sud, est coûteuse. Selon le spécialiste des migrations et de l’économie du développement, El Mouhoub Mouhoud, la mondialisation des échanges a contribué à une augmentation sensible de ses coûts, car, contrairement aux autres composantes de la mondialisation, à savoir le commerce, les investissements directs à l’étranger, les mouvements de capitaux et les transferts de technologie, on constate que la circulation des personnes n’a pas ou peu été libéralisée. À la différence des migrations «fordistes» des années 1950 et 1960, ce sont les migrants eux-mêmes, et non pas les entreprises, qui assument le coût de la mobilité. Il en résulte que les candidats à l’émigration ne se recrutent pas parmi les moins bien dotés en capitaux financier, humain et social. __3. Les immigrants sont-ils trop «différents» ?__ Quand il remet au goût du jour la notion controversée d’«assimilation», lors d’un récent séminaire gouvernemental à Matignon, Claude Guéant préconise l’acculturation des immigrés, c’est-à-dire l’abandon de leurs habitudes d’origine. Nombre de responsables de la droite gouvernementale et d’extrême droite disent, plus ou moins ouvertement, que les populations récemment immigrées, seraient difficiles à «intégrer». Leurs mœurs les empêcheraient d’adhérer aux valeurs républicaines de laïcité et d’égalité entre les sexes. C’est ce qui ressort des différentes polémiques, utilisées comme des chiffons rouges, sur les prières de rue, le niqab ou la polygamie. L’historien Gérard Noiriel montre que ce type d’assertion est récurrente, en particulier dans les périodes de crise économique et sociale où les inégalités se creusent et où les gouvernants sont impuissants à répondre à la peur de la pauvreté ou du déclassement éprouvée par les classes populaires. Dès les années 1880, les Italiens travaillant en France se voient reprocher leur supposé défaut d’«assimilation». Dans Immigration, antisémitisme et racisme en France, l’historien décrit comment la rhétorique des années 1930 joue de l’opposition entre les «bons» immigrés d’avant et leurs successeurs considérés comme peu ou difficilement intégrables. Les travaux scientifiques invalident ces préjugés: en analysant des critères comme l’acquisition de la langue, la fréquence des unions mixtes et la mobilité socio-économique, ils démontrent que l’insertion des migrants dans la société française s’effectue à peu près au même rythme d’une génération à l’autre. Jean-Pierre Garson, économiste à l’OCDE, le confirme: «La promotion des immigrés est une réalité souvent cachée, invisible, alors qu’elle se vérifie dans les chiffres.» __4. Les immigrés coûtent-ils cher à la France ?__ C’est un des thèmes de prédilection traditionnels de Marine Le Pen. «L’immigration peuple la France d’ayants droit pour qui, bien souvent, la seule affinité avec notre pays se limite aux avantages matériels qu’il leur procure», écrit-elle dans son programme. Mais elle n’est pas la seule. Récemment, le secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé, a pris l’argument frontiste à son compte. «Sur l’immigration à caractère strictement social, nous allons nous heurter à un problème, c’est que nous n’aurons plus les moyens de payer, c’est-à-dire que derrière cela le coût social pour le contribuable est tellement élevé qu’il y aura un moment où on ne tiendra plus le coup financièrement, parce que c’est du déficit et qu’on n’y arrive plus», a-t-il déclaré sur RFI. «D’aucuns vont jusqu’à laisser entendre que les avantages offerts par le système de protection sociale français constituerait l’une des principales motivations de l’expatriation des migrants. Les étrangers sont alors portraiturés en oisifs, vivant aux crochets des autochtones par l’entremise de l’assurance chômage et de l’accès gratuit aux soins et à l’éducation pour leurs enfants», rapporte Cette France-là, qui souligne qu’une enquête d’Eurostat de 2001, menée à la fois auprès de migrants déjà présents en Europe et parmi des candidats au départ résidant encore dans leurs pays d’origine (en l’occurrence la Turquie, le Maroc, l’Égypte, le Ghana et le Sénégal), montre que seuls 3 à 28% des migrants ont acquis des connaissances sur la protection sociale que pouvait leur offrir leur nouveau ou futur pays d’accueil. À la différence des pays anglo-saxons, où les travaux sur la contribution des immigrés aux finances publiques sont monnaie courante, ils sont rares en France, ce qui empêche que le débat ait lieu sur des bases sérieuses. D’où l’intérêt d’une récente étude sur l’impact de l’immigration sur les comptes de la protection sociale réalisée pour la MIRE, le centre de recherches du ministère de la santé, des affaires sociales et du travail. L’économiste Lionel Ragot y a participé. Après avoir calculé le montant des prélèvements effectués par l’État et le niveau des prestations perçues, il conclut, en tenant compte de la structure par âge, que «globalement la contribution au budget des administrations publiques des immigrés, en 2005, était positive et de l’ordre de 12 milliards d’euros. (…) Si on ramène ça par immigré, grosso modo la contribution nette d’un immigré, en 2005, était de 2.250 euros alors que celle d’un natif était de 1.500 euros». Plus un étranger est hautement qualifié, plus son apport aux finances publiques est important, constate Lionel Ragot qui rappelle aussi que les deux postes de dépenses que sont le RMI et les aides au logement «sont beaucoup moins importants dans l’ensemble des transferts sociaux, les deux postes les plus importants étant les retraites et la santé». Également interrogé, Joël Oudinet partage la même analyse. «Les études, dit-il, montrent que le solde est plutôt positif: ils dépensent en moyenne plus en impôts qu’ils ne bénéficient d’aides sociales. L’impact est d’autant plus positif que les migrants sont qualifiés.» En tenant compte des perspectives démographiques, et notamment du vieillissement de la population, Lionel Ragot va plus loin. Sans les immigrés, il sera plus difficile de payer les retraites et de financer la branche maladie. «Nos résultats sont sans ambiguïté, insiste-t-il. Si on compare avec immigration et sans immigration, on voit bien que l’immigration a un apport au financement de la protection sociale puisque sans immigration, en 2050 ce n’est pas 3% du PIB en plus qu’il faut trouver pour financer la protection sociale, c’est quelque chose de l’ordre de 4,3%. Ça montre bien que l’immigration réduit le fardeau fiscal lié au phénomène du vieillissement démographique.» __5. Les immigrés font-ils baisser les salaires ?__ La présidente du FN répète que l’immigration est «poussée par le grand patronat pour qui elle est une délocalisation à domicile qui lui permet de compresser les coûts salariaux». Là encore Marine Le Pen est rejointe par la droite. Cette fois-ci, c’est Hervé Morin, ancien ministre de la défense et président du Nouveau Centre, qui déclare: «Que Claude Guéant dise “il faut arrêter les flux migratoires”, je l’approuve, parce que les flux migratoires pèsent sur le pouvoir d’achat, parce qu’ils pèsent sur les salaires.» Ce présupposé est pourtant sans fondement. Certes, d’un point de vue théorique, «les salaires sont effectivement susceptibles de baisser s’il y a une concurrence entre les demandeurs, selon l’économiste Joël Oudinet. (Mais) cela n’est valable que pour les emplois substituables: mêmes types de compétences et de qualifications. À l’inverse, les emplois complémentaires voient leurs revenus s’accroître. Mais dans les faits, toutes les études montrent que les effets sont très limités. On peut voir dans certains cas certaines baisses, pour ceux qui sont en concurrence, et certaines hausses, pour ceux qui ne le sont pas, mais c’est très très faible». En outre, les «autochtones» ne sont pas les premières victimes d’éventuelles baisses de salaire: «La concurrence se joue essentiellement entre les anciens immigrés et les nouveaux arrivants, indique l’économiste. Ce sont donc les premiers qui voient leurs salaires baisser. Parce qu’ils se retrouvent dans les mêmes secteurs: construction, restauration, commerce, services, ménage… Dans toute l’Europe, ce sont les immigrés qui font tourner ces secteurs-là.» Une étude récente, réalisée en 2010 par Javier Ortega, chercheur à la London School of Economics, et Grégory Verdugo, chercheur associé à la Banque de France, avance même que la présence d’immigrés sur le marché de l’emploi aurait, en réalité, plutôt un effet positif sur les revenus des natifs. Ayant étudié la période allant de 1962 à 1999, les auteurs constatent que non seulement «l’immigration a aidé les autochtones à grimper les échelons professionnels», mais que, en plus, «l’arrivée de migrants d’un niveau d’éducation et d’expérience donné aurait permis aux autochtones ayant le même niveau de se libérer de la contrainte d’occuper des emplois peu rémunérés et d’accéder à des postes mieux payés». Ainsi, «une croissance de 10% de l’immigration entraînerait une hausse de l’ordre de 3% des salaires des natifs». __6. Les immigrés prennent-ils les emplois des natifs ?__ Aussi ancrée dans l’esprit des Français, cette idée reçue n’a pas plus de justification que la précédente puisque le marché du travail se dilate pour s’adapter à l’arrivée de nouveaux venus. «Les immigrés sont aussi consommateurs, ils créent donc de la demande supplémentaire, donc des emplois, souligne Joël Oudinet. Toutes les études montrent, et c’est encore plus significatif que sur les salaires, que les migrants arrivant créent leurs propres emplois. Nous avons simulé un modèle macro-économétrique là-dessus, en 2007: en imaginant une augmentation de 10% du flux d’immigration au Royaume-Uni, le taux de chômage n’augmenterait alors que de 0,01 point au bout de 13 ans. Et si on allait jusqu’à + 1% de population active, le taux de chômage n’augmentait même que de 0,58%.» Les exemples empiriques des rapatriés d’Algérie en 1962 et des Cubains en Floride confirment l’impact quasi nul que des afflux, même massifs, d’étrangers ont sur le taux de chômage du pays d’accueil. Par ailleurs, des pans entiers des secteurs des services, du bâtiment, de l’agriculture, de la restauration ou des travaux publics recrutent massivement leur main-d’œuvre parmi la population immigrée, car ils peinent à trouver preneurs pour les emplois pénibles et précaires. __7. La France manque-t-elle de logements pour accueillir les immigrés ?__ Cet argument ne cesse d’être utilisé, y compris parfois à gauche. Et pourtant, les analyses du démographe François Héran viennent le contrecarrer. «Les capacités d’accueil de la France seraient en nombre fini, seraient quantifiables et seraient déjà saturées. Or, l’adéquation entre les flux d’entrée et les moyens disponibles est une affaire très complexe», dit-il, citant, aux côtés des entrées d’étrangers, les afflux de naissances inattendus, tel le baby boom qui a provoqué l’arrivée de 7 millions de personnes, ou les afflux de personnes âgées, «là encore, dit-il, 7 à 8 millions de survivants supplémentaires qu’on n’avait pas prévus, à cause de l’allongement de la vie». D’où sa conclusion, éloignées des lieux communs: «On a dit “nos capacités d’accueil sont limitées, désolés, il va falloir réduire les flux”… C’est assez intéressant de voir qu’en réalité une politique démographique, si on peut utiliser ce grand mot, c’est quand même fondamentalement de devoir faire avec, c’est-à-dire d’accueillir le surcroît de population imprévu et les migrants en font partie. À la différence qu’il y a des époques où on va les chercher.»