On ne dirige pas une démocratie parlementaire de cette façon; je trouve que c’est indigne de la France et injurieux pour nous tous, citoyens de ce pays ! Ecoutons la voix de la raison ! %%% Corinne Lepage, députée européenne et présidente de CAP 21%%% __Réforme des retraites : halte au feu !__%%% Le président de la République a manifestement choisi la stratégie du « pourrissement » de la grève. Il n’est pas le premier. En 1995, la même stratégie avait été choisie, sur la foi de ministres qui, chacun pour son secteur (transports, éducation nationale, énergie, etc.), estimaient avec arrogance « tenir » leur département. Comme en 1995, il entretient une forme de surenchère avec les syndicats, puis les lycéens, puis la rue en niant dans un premier temps la mobilisation, puis en déniant aux jeunes le droit de s’exprimer sur les retraites. Mais trois facteurs sont radicalement nouveaux et changent profondément la donne : l’ampleur de la crise économique qui rend virtuelle pour le plus grand nombre la capacité de travailler suffisamment de trimestres pour bénéficier d’une retraite à taux plein ; le creusement des inégalités illustré par des exemples plus que symboliques (aux deux sens du terme) qui vont du bouclier fiscal aux salaires pharaoniques, des profits bancaires aux insuffisances de trésorerie qui étranglent les petites et moyennes entreprises, des bénéfices des sociétés d’assurance et des cliniques privées aux réductions de remboursements médicaux ; et, surtout, la dérive institutionnelle à laquelle nous assistons qui est la mère de tous les maux. Certes, la rue ne doit pas décider dans un système démocratique. Mais, que se passe-t-il en cas de blocage institutionnel ?
Que se passe-t-il lorsque le Parlement est devenu véritablement une chambre d’enregistrement dans laquelle l’opposition en est à demander la démission du président de l’Assemblée nationale ? Que se passe-t-il lorsque la justice ne peut plus jouer son rôle comme dans l’affaire Woerth où, malgré la demande du procureur général près la Cour de cassation, un procureur de la République, dont les liens avec le pouvoir sont établis, refuse de transmettre le dossier à un juge d’instruction avec la bénédiction de la garde des sceaux ? Que se passe-t-il lorsque les différents comités, commissions et conseils consultatifs chargés de veiller à un minimum de déontologie sont bafoués ? Que se passe-t-il quand celui-là même qui est chargé de porter le dossier des retraites est, à lui seul, le symbole du conflit d’intérêts. La vérité est que les institutions de la République ne sont plus que virtuelles, y compris le gouvernement qui est condamné depuis quatre mois et dans lequel chacun joue sa partition très personnelle en fonction de ses aspirations et de ses craintes… Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que la question des retraites, qui soulève celle du travail, de la pénibilité, des inégalités hommes-femmes, de la solidarité et de la protection sociale, soit devenue le catalyseur d’un refus du « trop, c’est trop ». Et il n’est pas surprenant que ce mouvement très populaire (aux deux sens du terme) serve aussi d’exutoire aux casseurs et à ceux qui rêvent du « grand soir ». Tout cela, le président le sait et court délibérément le risque d’un embrasement. Sa stratégie serait-elle celle de l’article 16 ? Rappelons que cette disposition permet au président de s’arroger tous les pouvoirs lorsque les institutions de la République sont menacées d’une manière grave et immédiate, et le fonctionnement des pouvoirs publics constitutionnels interrompus. Le blocage économique vers lequel nous nous dirigeons n’est-il pas un risque de justification d’une mesure de cette nature ? L’objectif n’est-il pas de faire monter le désordre jusqu’au moment où, sur la base de ce texte, le président pourra s’ériger en « rétablisseur de l’ordre républicain » alors qu’il est l’instigateur du désordre, non pas en proposant une réforme des retraites, qui est indispensable, mais en la concevant, en la poursuivant dans un climat d’injustice insupportable et en refusant la négociation préalable indispensable avec le front syndical. Espérons qu’il n’en est rien et que le bon sens l’emportera. Les syndicats ne souhaitent pas l’embrasement et les Français acceptent une juste réforme des retraites. L’alternative en matière de réforme, et plus encore en matière de réforme essentielle, ne doit pas se faire entre tension et immobilisme dans un but de posture politique pour la présidentielle. Elle doit naître d’un diagnostic et d’objectifs partagés, qui le seront d’autant plus que les Français seront convaincus du caractère indispensable et juste de la réforme proposée. Halte au feu ! Si l’objectif est de renforcer notre économie et notre solidité, on ne l’atteindra pas en acceptant que notre pays soit mis à feu et à sang pour prouver que l’on ne cède sur rien. Il est encore temps d’ouvrir enfin la négociation sociale au lieu de passer en force. C’est la seule solution si l’objectif est de réformer notre pays. » Corinne Lepage, députée européenne et présidente de CAP 21 Publié dans « __LE MONDE__ « %%% [http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/10/21/reforme-des-retraites-halte-au-feu_1429316_3232.html|http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/10/21/reforme-des-retraites-halte-au-feu_1429316_3232.html|fr]