((/images/pierremmanuel-150×150.jpg))%%% Pierre Emmanuel GUIGO est aussi étudiant en Histoire à la Sorbonne Paris IV.%%% L’Institut d’études politiques (IEP) de Paris notamment, et la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP), fondée simultanément, constituent l’ensemble appelé Sciences Po Paris. » __Histoire du Centre en France__ %%% __Le centre a-t-il une histoire ?__ La doxa se plait à nous dépeindre une politique française éternellement divisée en deux parties plus ou moins opposées. Il y a peu encore, un éminent politologue de Sciences-Po Paris, déclarait lors d’une conférence à Menton peu avant l’élection présidentielle de 2007 que « le mouvement de François Bayrou ne pouvait s’implanter durablement dans un système résolument bipolaire ». Mais l’hostilité des politologues vis-à-vis du centre va plus loin et d’aucun remet en cause l’existence même d’une histoire du centre. S’il est vrai que le scrutin majoritaire uninominal à deux tours est foncièrement défavorable aux partis comme le Modem, cela ne permet pas pour autant d’en déduire que le centre n’a pas d’histoire en tout cas en France. Depuis 1958, il est vrai, les différentes formations centristes ont toujours été annihilées soit par l’un ou l’autre des pôles. %%% Mais c’est une erreur de la part de ces politologues de croire réduire l’histoire politique de la France aux 50 dernières années.
Pour comprendre véritablement les Français, leurs votes, leurs comportements et cultures politiques, il faut nécessairement replonger au-delà, dépoussiérer l’ensemble de l’histoire contemporaine française et ce depuis l’avènement de la démocratie. %%% __Un strict clivage droite-gauche ?__ %%% Afin de réfuter l’idée même d’un clivage droite-gauche qui aurait structuré toute l’histoire politique française, il me paraît nécessaire de retracer rapidement son évolution. Concentrons-nous quelque peu sur ce que l’on appelle couramment le clivage droite-gauche. Il n’est pas nécessaire de rappeler que ce clivage prend sa source dans le vote sur le veto royal en 1789, tant cette idée est largement répandue. %%% S’il y a bien une chose frappante dès lors que l’on étudie l’histoire politique de la France depuis 1789, c’est bel et bien que ce clivage est mouvant : être de gauche en 1830, n’est pas la même chose qu’être de Gauche en 2009.%%% Du clivage pour ou contre le veto royal, en passant par le clivage monarchiste/ républicains, on arrive après l’Affaire Dreyfus et la structuration des mouvements sociaux à un clivage axé autour de la question économique. %%% Pour reprendre la théorie de Stein Rokkan, le clivage ne recoupe pas sur la longue durée un clivage sociétal et même si depuis le début du XXe siècle, il correspond à peu près au clivage possédant-travailleur, il n’en reste pas moins qu’il ne cesse de s’en éloigner (voire les théories d’Inglehart). (Selon Lipset et Rokkan, quatre clivages fondamentaux s’expriment dans la construction de l’Etat moderne autour de deux révolutions, la révolution nationale (l’édification de l’Etat et l’avènement de la démocratie parlementaire) et la révolution économique (le passage au mode de production industriel): possédants/travailleurs, Etat/Eglise, Centre/périphérie, primaire/secondaire.)%%% Dès, lors si le clivage n’est pas fondé sur un partage réel de la société française, historiquement immuable (formule quasiment antithèque), on pourrait en conclure avec Duverger qu’il est après tout logique. Lorsque l’on doit choisir sur un grand problème de société, la division se crée d’elle-même entre ceux qui sont favorables et ceux qui s’opposent à la solution prônée. Mais au-delà du problème que cela pose pour tous les modérés qui ont cherché la coopération, la négociation dans l’Histoire, cet idéal-type passe complètement à côté de la réalité plurielle des clivages politiques en dehors de la France, comme c’est le cas en Italie, Allemagne (où le clivage politique laisse clairement la place à des courants centristes). %%% Mais pour poursuivre aux côtés des institutionnalistes (politologues qui accordent une place centrale aux institutions dans leur analyse de la politique), ceux-ci évacuent la question par le rôle prépondérant donné aux institutions sur le clivage, ce qui bien sûr est favorable au découpage partisan (partis de gauche, partis de droite). En effet, le suffrage uninominal à 2 tours favorise la bipolarisation puisqu’il ne laisse que 2 candidats au second tour. Mais même si ce schéma réducteur peut-être remis en cause (pensons à l’élection de 2002 qui opposait un candidat de droite à un candidat d’extrême-droite), il ne prend pas en compte les attitudes et cultures politiques qui fondent les courants contemporains (voire à ce propos les travaux de Georges Lavaux). %%% Pourtant, lorsque les sondages viennent étudier les préférences politiques de la population, 30% des Français se déclarent du centre contre 30% respectivement pour chacun des deux pôles. On peut donc déduire de cette petite analyse que le clivage droite-gauche est avant tout une question de sentiment d’appartenance, de rattachement à une culture politique et de pratique qui ne peut se réduire à des résultats électoraux. %%% Dès lors, se poser la question de l’histoire du centre c’est essayer d’appréhender ce qui peut fonder au fil du temps une pratique et culture politique centriste. %%% __Le centrisme comme pratique politique :__%%% Évidemment, on ne peut expurger par un effet de manche l’argument institutionnel et il est certain que le vote à la proportionnelle est nettement plus favorable aux courants centristes. Il suffit pour s’en persuader de voir les difficultés d’émergence d’un courant centriste depuis 1958 et l’instauration du scrutin majoritaire uninominal à deux tours. %%% __Est-ce suffisant pour en conclure sur l’impossibilité de fonder un mouvement centriste dans les institutions de la Vème République ?__ %%% À mon avis, non.%%% – Tout d’abord ces institutions possèdent une élasticité impressionnante et si l’on a cru leur adaptation à un pouvoir de gauche impossible, la double présidence de François Mitterrand a prouvé le contraire.%%% – D’autre part, contrairement à ce que l’on croit souvent, les institutions de la Vème République n’ont pas tué le centrisme. En effet, si peu de partis proprement centristes ont résisté au scrutin majoritaire à 2 tours, le centrisme a perduré au sein des grands partis de gauche et de droite modérée tels le RPR (UMP) et le PS. %%% Ainsi, on peut déceler chez certaines grandes figures de ces deux partis des attributs particuliers au centrisme que l’on détaillera plus loin. %%% – Il s’agit également de mettre en valeur un phénomène particulier à la Vème République et qui en ont indigné certains : la cohabitation. Si elle peut paraître hybride et inacceptable, elle est néanmoins l’un des éléments qui force au consensus, à la modération, et amène au développement d’un certain centrisme. %%% – De même on peut souligner qu’après leur élection, la plupart des présidents de la République se recentrent afin de créer un consensus nécessaire à l’unité de la République (comme le roi le fait en Belgique). %%% – Mais ce phénomène est corollaire d’un autre plus ancré dans les mentalités et leurs évolutions : la déradicalisation des grandes familles politiques. Ainsi, avec le « tournant de la rigueur » (1983), la Gauche a rompu avec un marxisme devenu suranné pour les dirigeants de l’époque face à la construction européenne et aux nouveaux enjeux de société.%%% Cet élément a permis l’essor des courants centristes au sein du parti socialiste jusque-là suspects, personnalisés par Michel Rocard, ou Jacques Delors. Ce phénomène semble moins important à Droite, où l’on constate au contraire, une poussée de l’extrême-droite. Une telle perspective doit pouvoir s’expliquer entre autres par la montée de l’extrême-droite qui influa sur les positions de la droite traditionnelle (à tel point que si l’on a souvent parlé de l’influence des partis de gauche sur le PS, appelée « sinistrisme », on a beaucoup moins abordé ce « dextrisme »). %%% La décrépitude de la gauche extrême dans les années 80-90’s conjointement à l’exercice du pouvoir a au contraire favorisé le recentrage du PS.%%% Mais ce centrisme de gouvernement a également un contre-coup dont on voit les conséquences depuis 2002 : il favorise la réémergence des courants extrémistes lorsque le mécontentement populaire se fait ressentir, ce qui explique en partie le retour en force des courants d’extrême-gauche depuis 2002. %%% __Quelles caractéristiques ?__ %%% – Ce dernier élément nous amène à une autre constatation qui prouve la validité d’une tradition centriste y compris en France. Elle est liée à l’exercice même du pouvoir qui s’accompagne toujours de compromis, d’alliances, de recentrage. Si les idéologues, et autres redresseurs de torts, ont toujours le haut du pavé en termes d’audience, il n’en reste pas moins qu’un parti au pouvoir est forcément obligé de faire des compromis, voire pour certains de se compromettre. Dès lors, face à des pressions extérieures, au rôle de l’opposition et de l’opinion publique, les dirigeants au pouvoir sont forcés de se recentrer, comme peut en témoigner le « tournant de la rigueur » déjà cité, ou encore la dévaluation et les désillusions du gouvernement Blum en 1936.%%% – Mais cet élément nous amène à une réflexion plus éclairante sur la stratégie partisane. Pour se maintenir au pouvoir, le courant en place peut procéder à un recentrage afin de ratisser un plus large électorat. Ce type de recentrage stratégique est typique de la politique du Labour en Angleterre dans les années 90-2000. %%% De même en France, Raymond Poincaré (1926-29), puis Michel Rocard (1988-91) tenteront (et réussiront plutôt bien) à former un consensus des forces républicaines autour de leur gouvernement. %%% – On a vu le poids des extrêmes dans le positionnement politique des partis classiques, on peut même avancer que le refus des extrêmes est également l’un des fondements de la pensée centriste. Ainsi, en Flandres, les gouvernements rassemblent des mouvements de tous bords afin de résister aux pressions des partis extrémistes (« cordon sanitaire » face au Vlaams Belang). Mais cette politique d’union (après tout la devise de la Belgique est bien « l’Union fait la force ») s’applique aussi depuis la récente crise (pas l’économique, quoi qu’elle joue aussi, mais plutôt la crise communautaire), face à la menace interne, les forces modérées trouvent un terrain d’entente en vue de trouver des solutions pour surmonter la crise.%%% Dès lors, un centrisme forcé, certes, mais salvateur se dessine au sein du gouvernement. De même tout au long de l’histoire politique française on constate des alliances au centre pour résister aux extrêmes, que l’on pense aux lois constitutionnelles de 1875, ou de la troisième force (1947-1951). %%% – Enfin, s’il faut déceler encore une caractéristique du centrisme, et bien on la trouverait dans le miroir des extrêmes. Le refus des idéologies extrémistes engendre la formation d’une vision pragmatique de la société, qui refuse d’opposer une part de la population à une autre, tout en proposant une évolution, une rénovation, mais dans le respect des règles de vie démocratique, et sans provoquer de bouleversements sociaux. %%% Le centrisme et les partis du centre ont même servi l’affermissement de la démocratie comme en Allemagne ou en Espagne après la fin des dictatures, ainsi qu’en France depuis les débuts de la IIIe République (n’oublions pas que le premier scrutin de la IIIe République offra une majorité aux monarchistes et que cette majorité devint républicaine grâce aux efforts des modérés dits opportunistes). %%% __Quelle culture politique ?__ %%% __Mais il nous reste un point à analyser, à quels grands courants de la pensée politique peut-on rattacher le centrisme contemporain. Il est en fait le fruit d’un triple héritage : libéral, démocrate-chrétien et radical .__ %%% – Tout d’abord il tire ses racines d‘une tradition libérale souvent rejetée en France en raison de la tradition absolutiste et centralisatrice. Toutefois, ce libéralisme n’est pas inexistant, il a ainsi fourni la base de la politique gouvernementale des débuts de la IIIe République (orléaniste puis proprement républicaine). Il se transforme par la suite en ce que Serge Berstein appelle un « libéralisme d’imprégnation » qui inspire les opportunistes, puis les progressistes et qui explique l’attachement viscéral au parlementarisme (un libéralisme politique poussé à son excès), et une politique économique relativement libérale (jusqu’aux lois Méline en tout cas). %%% Les théoriciens de ce libéralisme centriste sont aussi parmi les plus grandes figures intellectuelles de l’époque avec Prévost-Paradol, Say, Leroy-Beaulieu. Il continue par la suite à influencer les partis au gouvernement, même si le patriotisme est de rigueur, l’intervention étatique est toujours perçue comme dangereuse. Mais toucher au sacro-saint régime parlementaire restera un crime jusqu’à la mort de la IIIe République, alors que le pouvoir exécutif reste suspect (l’exemple de la présidence d’Alexandre Millerand est à ce titre particulièrement révélatrice).%%% Sous la IVe République, une grande part de la tradition politique issue de la IIIe République perdure et le libéralisme économique doublé d’un protectionnisme communautaire se renforce avec l’intégration européenne. Avec l’ère gaulliste, le libéralisme politique comme économique perd du terrain quoiqu’il inspire certaines politiques ministérielles. %%% Mais on le voit refleurir durant la campagne électorale de Valéry Giscard D’Estaing qui se dit libéral, centriste, européen. Sa politique si elle ne peut vraiment être qualifiée de centriste, excepté peut-être au tout début, n’en reste pas moins inspirée par le libéralisme économique (que l’on pense à la politique de Raymond Barre anti-crise). %%% Enfin, après l’intermède socialiste, on le voit réapparaître mais sous une forme toute nouvelle, très inspirée du néolibéralisme thatchérien ou reaganien. Mais cette politique prônant la compétitivité à tout prix est fortement défavorable à la cohésion sociale, elle s’oppose ainsi à l’un des ferments de notre républicanisme. %%% Les courants libéraux ne disparaissent pas, mais se fondent au sein de l’UDF, du PL, avant de se voir inclus pour la plupart au cœur de l’UMP et du Modem. %%% – Mais revenons à la seconde tradition : la démocratie-chrétienne. Elle aussi tire ses racines du XIXe siècle, et de l’avènement d’une pensée sociale-chrétienne. On sait l’influence de la pensée contre-révolutionnaire dans son implantation, mais c’est avec l’émergence de l’industrialisation et des inégalités engendrées par celle-ci que l’on voit cette pensée sociale anti-révolutionnaire se transformer en démocratie-chrétienne. Lamennais, figure de marque de ce courant à ces débuts aura des rapports tendus avec l’eglise-institution encore réticente et il faudra attendre la fin du XIXe siècle pour voir le courant vraiment prendre de l’ampleur sous l’influence de l’encyclique Rerum Novarum fomenté par Léon XIII en 1891. Dans la plupart des pays catholiques, elle devient une force essentielle sauf peut-être en France où l’Eglise est toujours perçue comme contre-révolutionnaire. Et pourtant, même dans ce pays, elle n’est pas inexistante comment a pu en témoigner le Sillon de Marc Sangnier, ou l’influence des Mounier, Schuman, Bidault et de courants politiques comme le parti démocrate populaire fondé en 1924.%%% Mais c’est surtout avec le MRP qu’il atteint son apogée, avant de tomber dans l’oubli après le retour De Gaulle en 1958. Mais son influence se fera encore sentir au sein de la double présidence du général De Gaulle, tout s’insérant au sein de certains dirigeants socialistes (Jacques Delors par exemple). C’est sous la double influence de ces mouvements que l’on voit émerger entre autres le centre démocratique, le CDS, l’UDF et enfin le Modem. %%% – Enfin, il nous reste à analyser une dernière tradition qui selon moi fonde le courant centriste actuel : le radical-socialisme. Je me permets de le placer en dernier car il est certainement mon argument le plus polémique. En effet, certains critiqueront très certainement cette analogie casanière, qui consiste à placer un mouvement qui s’est toujours voulu clairement marqué à gauche, même s’il existe un pôle minoritaire dit valoisien depuis 1972 aujourd’hui inclus dans l’UMP. %%% Ce courant politique naît à la fin du XIXe, mais comme son nom l’indique , il représentait les forces d’extrême-gauche. Il évolua assez rapidement et surtout à partir de son accès au pouvoir dans les années 1890. Il se changea comme beaucoup de partis radicaux une fois au pouvoir en un vrai parti de gouvernement, représentant non plus (enfin plus seulement) la classe ouvrière, mais les petits propriétaires, artisans face aux capitalistes au « populo grosso» pour reprendre une dichotomie usagée. %%% Il fut néanmoins une force motrice qui permit l’élaboration de nombres de lois sociales. Souvent perçu comme parti-charnière, il favorisa l’alternance à de nombreuses reprises durant l’entre-deux-guerres, s’alliant une fois à droite, une fois à gauche. C’est la raison qui m’a poussé à le ranger parmi les sources de la culture centriste. Son idéologie relativement souple, et son pragmatisme, ainsi que son rejet des extrêmes en font clairement des bases de la culture centriste. Or, on sait l’influence de ce parti et de ses membres sur le modèle républicain français comme a pu le souligner Serge Berstein. %%% Ces trois héritages en apparence contradictoires (le libéralisme s’est souvent voulu en opposition au christianisme) parviennent à converger dans la perte d’influence de ces deux mouvements sous l’effet de la Vème République où ils ne peuvent pas jouer un rôle de parti-charnière. Dès lors, ils forment un corps d’idées originales allant de l’attachement aux contrepouvoirs (très libéral), à la volonté de réduire les inégalités sociales. %%% __Existe-t-il un électorat du centre ?__%%% Toutefois, on n’aura pas évacué la question sans poser l’interrogation d’un électorat du centre. Pendant des années, le clivage droite-gauche a recouvert un clivage social plus ou moins concret et même s’il a perdu de son importance et a toujours été assez hétérogène, il n’est pas à négliger de chercher un électorat centriste (les partis sont ainsi de plus en plus attrape-tout pour reprendre une terminologie courante). %%% __En comparant aux situations qu’ont pu connaître des pays comme la Russie au début du XXe siècle ou encore l’Espagne préfranquiste, on peut conclure que l’émergence d’un électorat du centre n’est rendu possible qu’avec une classe moyenne importante, elle-même consubstantielle de la plupart des démocraties.__ %%% Ce n’est pas sans raison que le rapprochement entre orléanistes et républicains opportunistes puis progressistes se noue à une époque où Gambetta annonce l’émergence des classes moyennes.%%% __Loin du marais que l’on dépeint souvent, le centre et le centrisme sont donc des forces motrices. Ancré dans la tradition républicaine, ce courant de pensée et cette pratique politique se révèlent au cœur de l’action démocratique. Poussé par un pragmatisme ontologique, le centre est réellement une force de compromis, tout en favorisant la stimulation d’idées.__ » %%% Pierre Emmanuel GUIGO