((/images/jpg_jpg_CHISTOPHE_TUKOVok.jpg)) %%% __Par Christophe TUKOV, Vice Président au Tribunal de Grande Instance de Nice, chargé de l’instruction__ %%% L’objectif de cette intervention est de réfléchir sur une éventuelle crise de la Justice en France, sur les connexions de notre Justice avec «l’Europe», et de voir quelles améliorations l’Europe, à travers notamment le rôle du Parlement Européen, peut apporter à notre Justice.%%% Avant de savoir si notre Justice est en crise, il faut lui donner un visage concret. La Justice, ce n’est pas que l’aspect «juridictionnel» de nos institutions, mais aussi l’administration pénitentiaire et la Protection Judiciaire de la Jeunesse. En effet, le sort qu’une société réserve à ses prisonniers est l’un de ses reflets les plus crus, et témoigne de son degré de démocratie. Par ailleurs, la manière dont on approche l’enfance délinquante est tout autant symbolique. La Justice n’est donc pas seulement l’oeuvre à laquelle concourent tous les jours avocats, greffiers, magistrats, etc… Je suis l’un des multiples visages de la Justice. Procès pénal, instruction, affaires familiales, saisies, tutelles, procédures collectives des entreprises, droit de l’urbanisme, des étrangers… %%% La Justice, c’est avant tout des hommes et des femmes qui jugent des hommes et des femmes, en appliquant, avec loyauté et humanisme, le droit et la procédure.%%% Est-elle en crise ?
Si l’on en croit l’avalanche de réformes adoptées ou prévues durant ces dernières années, à n’en point douter. Réforme de la carte judiciaire, avec suppression de nombreux tribunaux d’instance et de grande instance, création des pôles de l’instruction, puis de la collégialité, puis suppression du juge d’instruction… rapports Guinchard tendant à la simplification des procédures et de l’organisation judiciaire, rapport Léger sur la phase préparatoire au procès pénal… ces deux rapports ont un point commun, celui de poser la question de la garantie des droits des justiciables, et de la conciliation de cette garantie avec les nouveaux impératifs d’efficacité et de rapidité. La lenteur de la justice est souvent, à juste titre, dénoncée. Doit-on pour autant faire de la simplicité et de la rapidité un dogme ? Outreau a révélé des «dysfonctionnements» qui ont placé le juge d’instruction dans la tourmente médiatique et politique. Fallait-il prendre prétexte de cette affaire poignante pour supprimer la fonction d’instruction, et en profiter pour régler des comptes peu avouables envers la poche d’indépendance demeurant au stade de l’enquête pénale ? La commission Valini, dite « d’Outreau », avait préconisé l’instauration d’une collégialité, c’est à dire un fonctionnement à trois juges d’instruction. C’était bien. Comment expliquer cette volte-face présidentielle autrement que par la volonté de soumettre le village d’irréductibles juges faisant face aux camps retranchés des puissances politiques, économiques, et financières ? %%% La Justice tente quotidiennement de résoudre des milliers de micro-crises. La plupart du temps, elle juge la misère. Misère sexuelle, intellectuelle, sociale, familiale, économique. Lorsque l’on est concerné par la Justice, il est en général trop tard. Alors nous faisons de notre mieux pour apaiser, trancher, dire le droit, avec les instruments qui sont les notres et que nous utilisons avec le plus de prudence possible : placement en détention provisoire, expulsion, condamnation pécuniaire ou à de la prison, liquidation judiciaire, placement d’enfants… Par définition, la Justice est en crise, car elle « est » crise.%%% Prendre de faux prétextes pour régler ses comptes avec la Justice est irresponsable.%%% Mais la Justice est perfectible. L’Europe peut y contribuer. %%% Tout d’abord, intégrée dans le système intergouvernemental du Conseil de l’Europe, la Cour Européenne des droits de l’Homme, par sa jurisprudence relative à la Convention européenne des droits de l’homme, pousse les Etats signataires à harmoniser « vers le haut » leurs procédures et leurs institutions afin d’éviter des condamnations qui font un « mauvais effet » politique. Se voir condamné pour « traitement inhumain et dégradant », voire même pour dépassement d’un délai raisonnable d’un procès, quand on est un Etat démocratique ou se disant tel, sur des questions de conditions de détention par exemple, n’est pas anodin, et de fait, le droit à la liberté, à un procès équitable, à la dignité, à la vie privée, à un recours effectif devant un tribunal, ont irradié les systèmes juridiques de tous les Etats signataires. %%% Mais ce système est encore imparfait, car il faut avoir épuisé, avant de saisir la Cour EDH, toutes les voies de recours internes, et une fois l’arrêt de condamnation rendu, aucun mécanisme contraignant n’existe pour le faire appliquer. %%% Toutefois, on doit à l’aura de cette Convention notre loi sur la présomption d’innocence de 1993, l’instauration de l’appel des décisions de cour d’assises, et plus récemment (et plus anecdotiquement), le changement d’appellation du commissaire du gouvernement en « rapporteur public » devant les juridictions administratives. %%% L’Union Européenne réfléchit à la ratification par elle-même de la Convention EDH. C’est assez symbolique, mais il est plus important de rappeler que la Charte des Droits Fondamentaux, « adoptée » fin 2008 par les représentants de ses institutions, est sensée, aux termes de l’article 6 du Traité de Lisbonne, être respectée par tous les Etats membres. Cette charte comporte, outre les libertés fondamentales « classiques », les droits de 2ème génération (droits « à »), et de 3ème génération (environnement, santé, etc…), et son objet est donc beaucoup plus large que celui de la Convention EDH. %%% Plus généralement, le droit communautaire constitue, directement ou indirectement, la grande majorité de nos textes juridiques actuels. Par l’application des principes de primauté, d’immédiateté, d’applicabilité directe, d’effet direct… le juge national est le juge de droit commun du droit européen, et peut écarter une norme française, même postérieure, contraire au droit communautaire (Traités, règlements, décisions et certaines directives). Seul « contrepoids », le principe de subsidiarité, qui veut qu’en dehors de ses compétences exclusives, le droit communautaire n’a vocation à s’appliquer qu’en cas de défaillance des Etats membres. %%% La question de la justice « nationale » en droit communautaire est ambiguë. En effet depuis le Traité d’Amsterdam (1999), créant « l’Espace de Liberté, de Sécurité et de Justice », la coopération civile et commerciale, ainsi que la gestion des frontières, et l’asile, ont été basculées dans le « premier pilier » (hérité du Traité de Maastricht). Ce n’est pas anodin, car dans ce 1er pilier, les décisions se prennent selon la procédure législative ordinaire, avec un rôle accru du Parlement Européen qui bénéficie d’un pouvoir de codécision dans de nombreux domaines. %%% La coopération policière et judiciaire en matière pénale demeure dans le troisième pilier et fonctionne la plupart du temps à l’unanimité du Conseil, sur un mode intergouvernemental. L’harmonisation est donc beaucoup moins avancée en ce domaine pourtant crucial et symbolique, ce qui s’explique par son caractère régalien. %%% Le Traité de Lisbonne (2007), fait rentrer cette coopération policière et judiciaire en matière pénale dans le 1er pilier, et supprime, de fait, ce système de piliers. %%% Le Parlement Européen sera amené à jouer un rôle accru, majeur, en matière de justice, notamment quand le Traité de Lisbonne entrera en vigueur (un jour…). En effet, tout le volet « justice et affaires intérieures » (ancien « J.A.I. »), sera intégré au droit communautaire « classique » avec rôle prépondérant du juge national et de la Cour de Justice de l’Union Européenne pour son application, mais aussi rôle majeur du Parlement européen dans son élaboration, puisqu’il bénéficiera en ce domaine d’un pouvoir de co-décision, avec le Conseil. Le P.E. passera donc d’un statut d’aiguillon à celui de législateur dans des matières telles que la procédure pénale ou le droit pénal, sans remplacer évidemment les organes législatifs nationaux, au nom du principe de subsidiarité, pour les questions de droit interne, mais plutôt dans des domaines transnationaux comme le terrorisme, le trafic de stupéfiants, le trafic d’enfants, l’immigration clandestine, le blanchiment, plus généralement la criminalité organisée qui ne connaît pas les frontières sauf pour s’en servir à des fins d’impunité. %%% Le Parlement européen est le visage humain de l’Europe. Il rappelle toujours les grands principes, les droits fondamentaux, comme en matière de lutte contre le terrorisme, de conditions de détention, ou de délinquance des mineurs (à ce dernier titre, il préconise une augmentation de l’âge légal pour la détention provisoire des mineurs et une priorité aux moyens de prévention, ce qui s’oppose au récent projet français d’abaisser l’âge légal de la DP des mineurs à… 12 ans). Il joue mieux que la Commission son rôle de gardien des Traités, au moins de leur esprit. %%% Il est l’humanisme que les gens veulent voir dans leur justice, et même au-delà, dans leur société. C’est en cela que les prochaines élections européennes auront une incidence considérable sur le modèle de société européenne que nous souhaitons. %%% La réflexion plus que la réaction. L’humain plus que la technique. Le politique plus que le médiatique. Le juste plus que les gesticulations… %%% Quotas annuels d’étrangers expulsés (de la pure statistique), enquêtes pénales confiées en totalité à un parquet non indépendant, abaissement de l’âge légal de la détention provisoire à 12 ans, peines planchers, éviction du juge et/ou de l’avocat dans de nombreuses procédures… %%% La France a eu un rôle central dans la construction européenne et pour promouvoir son esprit. Aujourd’hui, c’est l’Europe qui doit apporter à la France un peu de sérénité et d’humanité