((/images/Conf-nat-tribune1-200.JPG))%%% ((/images/Conf-nat-vote-3-200.JPG))%%% %%% __FRANÇOIS BAYROU : » Je ne crois pas plus à la refondation du capitalisme qu’à la refondation du socialisme ».__ Voici le discours de clôture de François Bayrou lors de la Conférence nationale du Mouvement Démocrate le 26 octobre 2008 à la Maison de la Mutualité à Paris: » Chers amis, La matinée a été si riche, si intéressante, que nous n’avons exactement qu’une heure de retard sur notre horaire ! Ce qui fait que, naturellement, j’ai un devoir de concision , je vais essayer de remplir ce devoir. Je dis aux journalistes que je serai naturellement obligé de survoler un peu rapidement le discours qu’ils ont entre les mains, mais la substance sera la même. Elle sera d’ailleurs -et c’est ma première réflexion- la même que ce que nous avons entendu tout au long de la matinée ; parce que ce qui était frappant dans ce mouvement politique nouveau, c’était l’extraordinaire cohérence tout au long ds débats, la logique identiquement suivie et respectée que tous les intervenants de la salle et de la tribune, de l’intérieur et de l’extérieur, ont développée devant vous. Cela prouve que ce mouvement n’est pas une création, mais une révélation.
Vous me direz que j’avais quelques raisons de le savoir, parce qu’ayant vécu d’un peu près la campagne présidentielle, je savais que ce qui a été une surprise pour beaucoup de personnes, ce n’était pas autre chose que l’affirmation, l’incarnation d’un courant politique qui existait et qui ne demandait qu’à se faire entendre et à gagner. C’est ce courant politique que l’on a entendu ce matin et je vous promets que s’il s’affirme avec cette force, les Français vont le rejoindre et qu’il va changer la face des choses. Vous savez, c’est une société très paradoxale dont nous sommes amenés à prendre une partie de la responsabilité. C’est une société consumériste, c’est une société à qui l’on peut faire entendre qu’il n’y a que le matériel qui compte… Et en même temps je me disais en préparant cette intervention de clôture, qu’au fond ce qui aura marqué la semaine pour beaucoup de Français, ce n’est pas tant la crise dont ils ont entendu parler depuis des mois, que le visage de sœur Emmanuelle qui aura été, pour eux, une émotion profonde et ressentie ; comme le visage de l’Abbé Pierre au moment où il s’en est allé avait été, pour eux, quelque chose de précieux et qui les a touchés au coeur de leur vie. Il y a donc une attente au sein de nos sociétés, une attente de quelque chose qui dépasse le matériel, le mécanique, le financier, le consumériste. Il y a quelque chose d’autre et, tout au long de la matinée, dans la réflexion que nous avons conduite sur la nécessité d’une révolution morale ou sur la nécessité d’une analyse éthique, ou sur le besoin de porter un idéal européen… vous avez bien senti bien que c’est à cela aussi que nous nous accrochons, parce que nous pensons que c’est au fond le seul élément qui va donner à notre société, pas seulement une structure, mais une âme et, pour nous, les âmes sont plus importantes ou aussi importantes que les structures. Une crise centennale Cela dit, nous vivons un moment historique de dimension séculaire. Je disais ce matin que c’est comme pour les inondations. Les élus locaux savent bien que, quand ils font un plan contre les inondations, il y a des inondations décennales et des inondations centennales. On dit cela pour la vague aussi. Il y a la vague décennale et la vague centennale. La crise que nous vivons est une crise à la dimension du siècle. C’est une crise qui ne prend toute sa portée, tout son sens -cela a été dit ce matin par plusieurs orateurs- que si on la met en relation avec l’identique crise ou l’identique vague qui en 1989 -il y a vingt ans exactement- a emporté le socialisme soviétique. Les deux modèles, le modèle soviétique et le modèle capitaliste, sont en train de rencontrer une crise dont, je crois, ni l’un ni l’autre ne se relèvera, en tout cas ne pourra se relever à l’identique. C’est sur ce point que je voudrais m’arrêter un instant pour vous dire que, contrairement au discours officiel, je ne crois pas plus à la refondation du capitalisme que je ne crois à la refondation du socialisme. Je voudrais, m’arrêtant une seconde sur ce sujet, vous dire que ce n’est pas un accident historique, la crise de l’un et la crise de l’autre. C’est la crise et l’échec de l’idée fondamentale qui animait chacun des deux systèmes. Je veux m’arrêter un instant sur la crise du socialisme qui est tombé en même temps que le mur de Berlin. Son idée source était que l’État qui était bon pouvait décider à la place des gens, substituer ses décisions forcément bien inspirées aux décisions multiples et libres de la société. Cette idée s’est révélée fausse et tragique et elle a entraîné, par le fond, les pays qui avaient décidé de l’appliquer. L’idée fondamentale que le capitalisme portait, celle qui a échoué aussi, son postulat fondamental était que la somme des intérêts particuliers faisait l’intérêt général. Ce postulat s’est révélé faux. Je ne sais pas si vous avez suivi ce moment, mais pour ceux qui sont familiers d’internet (et il y en a beaucoup dans cette salle) il faut que vous alliez voir une scène incroyable qui était l’audition devant le Sénat américain de l’homme qui a symbolisé cette certitude en acier, en béton armé, du capitalisme américain, Alan Greenspan, puisque c’est de lui dont il s’agit. On disait « l’économiste des économistes », le « maestro », le « sorcier ». Quand je dis « on disait » en employant l’imparfait, c’est parce que c’était le cas il y a encore quelques mois. Cet homme était cité en exemple partout. Il a été entendu sur le sujet de la crise par le Parlementaire américain. C’était fascinant parce qu’il ne s’agissait pas d’une analyse d’idées générales, de théories, mais d’une tragédie humaine. Cet homme au visage décomposé, un homme dont toutes les croyances et tous les piliers de sa vie, à 82 ans, se sont écroulés, a dit cette phrase qui est à peu près la même que celle que je viens de dire devant vous : « Je croyais que les banquiers seraient assez conscients de leur propres intérêts, de leur propre sécurité pour assurer la sécurité de l’ensemble ». Il a dit appliquer à la banque ce théorème qui était celui du capitalisme dominant, à savoir que la somme des intérêts particuliers faisait l’intérêt général. Eh bien ceci s’est révélé faux. Je veux vous rappeler que c’était l’affirmation que nous avons portée devant les Français pendant la campagne présidentielle et, du coup, au passage on relit évidemment différemment toutes les polémiques de ces dernières années et que je veux vous rappeler. Toutes les polémiques portées par les dirigeants français contre la banque européenne, en citant en exemple la baisse des taux d’intérêt par la banque centrale américaine, en demandant, en exigeant, en mettant en demeure les dirigeants de la banque européenne de bien vouloir suivre l’exemple de M. Greenspan -dans une citation inédite et que je ne connaissais pas mais qui était incroyablement éclairante- on nous proposait le modèle des prêts hypothécaires américains comme le modèle à suivre pour notre pays. Eh bien, heureusement qu’il y a eu des Européens pour résister, qu’il y a eu des responsables européens et, excusez-moi de le dire, heureusement qu’il y a une Banque Centrale Européenne pour résister aux facilités et au laxisme qui on conduit les États-Unis là où ils en sont. Modèle américain, modèle européen Heureusement que la banque indépendante n’a pas écouté les gouvernants français dans leurs certitudes. Je dis cela, car la confrontation entre le modèle américain et le modèle européen est au cœur des années que nous venons de passer et des années que nous allons vivre. Je sais très bien que, pendant la campagne présidentielle, un certain nombre d’entre vous -et même un certain nombre de ceux qui m’entouraient- ne comprenaient pas pourquoi je faisais de cette question du modèle américain un point de séparation et de confrontation avec Nicolas Sarkozy. J’étais persuadé depuis longtemps que, si ce modèle qui voulait dominer la globalisation de manière définitive était en contradiction formelle, flagrante, choquante et violente avec la vocation française et avec les choix de valeurs qui étaient les nôtres. Pour ceux que cela intéresse, il y a un article de Jean-Claude Casanova, dans la revue « Commentaires » que vous trouverez sans doute sur notre site, de l’été 2007 et qui reprend cette argumentation. Il y avait, là, un conflit qui n’était pas seulement un conflit de société, mais qui était proprement un conflit de civilisation, et je suis très fier que nous l’ayons dit à cette période cruciale. Je veux reprendre, car c’est étroitement lié à la question des subprimes, l’analyse que j’ai beaucoup aimée que Michel Camdessus a développée s’agissant des subprimes. Mmais je me demande si l’on ne peut pas remonter encore plus haut et si les subprimes, au lieu d’être une cause, ne sont pas une conséquence, et essayer de vous montrer en quelques mots pourquoi. Souvenez-vous de cette réflexion que nous avons déjà faite dans des réunions de cet ordre et notamment lors du Congrès fondateur de notre mouvement. Où était la rupture dans ce modèle qui dominait la globalisation que j’appelais, par commodité, le modèle américain ? Où était le virus ? Selon moi, le virus est celui-ci : ce modèle -certains diront néolibéral, d’autres diront néo-conservateur, anglo-saxon diront les troisièmes- a choisi une orientation en contradiction profonde avec ce qu’a été l’histoire de l’Europe et l’histoire de l’Occident sur les 150 dernières années. Pour faire simple, durant les 150 dernières années se sont déroulées en Occident -et quand je dis Occident, c’est vraiment au sens large, de la Californie jusqu’à Vladivostok, en passant par chez nous évidemment…- ce modèle reposait sur une idée toute simple qui était que le progrès technique, technologique, scientifique et économique, allait effacer les inégalités ou, en tout cas, restreindre les inégalités. Au fond, tout le monde vivait avec cette idée, comme nous en France. Nous vivions avec cette foi dans le progrès économique américain et, excusez-moi de le dire, malgré les crimes que je n’oublie pas, on vivait aussi vaguement avec cette idée à Moscou… Tout le monde vivait avec cette même idée selon laquelle, en accompagnant le progrès, on allait effacer les inégalités. Quelque chose s’est produit au début des années 1980. Margaret Thatcher a été élue en 1979 et Ronald Reagan en 1981. Ils sont inspirés par la même école, un mouvement de pensée que vous connaissez sous le nom de Friedman ou de Hayek. C’est une pensée tout à fait structurée et tout à fait forte. Avant de l’adopter, Georges Bush -le père, pas W… !- disait : « C’est une pensée vaudou ». Ne voyez là aucune allusion à l’actualité judiciaire récente… C’était le mot qu’il utilisait pour parler de la pensée de Ronald Reagan. Cette pensée a dit, en tout cas aux initiés, parce que l’on n’a évidemment jamais osé le dire devant l’opinion publique, qu’il fallait abandonner cette idée de la réduction des inégalités, que ce qui était meilleur pour la créativité des sociétés, c’était l’acceptation des inégalités et même la volonté de voir les inégalités se perpétuer et croître ! C’est ainsi que l’on a vécu les vingt dernières années aux États-Unis. Il y a encore un rapport de l’OCDE que j’ai eu l’occasion de lire, il y a quelques heures ou quelques jours, qui le montre de la manière la plus éclairante. On a vu ce qui a été dit encore par Nicole Maestracci à cette tribune, à savoir, ces dernières années, les riches devenir plus riches et les pauvres devenir plus pauvres. Dans cette société où le progrès régnait en maître, où l’on avait l’impression que les découvertes techniques succédaient aux progrès technologiques, les riches devenaient plus riches et les pauvres devenaient plus pauvres, et pas qu’un peu !… Aux États-Unis, sur les vingt dernières années, le prix du travail non qualifié a baissé et, aux États-Unis, ces dernières années, 50 % de la création de la richesse du peuple américain était captée par les 1 % les plus riches de la société américaine ! Les riches deviennent plus riches et les pauvres deviennent plus pauvres. Ce n’est pas une dérive, c’est le centre même du système dans lequel on se trouve. Alors, pardonnez-moi de le dire, si c’est cela la réalité sociale américaine et -on est nombreux à pouvoir le dire- et les sociétés anglo-saxonnes, il n’existe qu’un moyen d’éviter que dans une telle situation les tensions sociales débordent et, ce moyen, c’est la drogue ! Je parle de la drogue qui est donnée aux pauvres : à savoir le crédit surabondant et tant pis s’ils ne peuvent pas payer. Ainsi, les subprimes, dont le remboursement était hors de portée des emprunteurs, ce n’était pas seulement un moyen d’enrichissement pour les banques, c’était aussi un moyen d’engourdir, par la consommation artificielle, le malaise des pauvres gens. C’est précisément ce modèle que l’on voulait nous imposer en France et c’est cela que nous avons refusé et nous avons eu bien raison de le refuser. Maintenant, ne vous trompez pas, je décris ce phénomène pour les États-Unis, mais même s’il est de moindre portée, nous avons tout de même cette situation en France, situation dans laquelle les productions de richesses supplémentaires sont majoritairement captées par la partie la plus favorisée de la population. Excusez-moi de le dire, le bouclier fiscal et la loi Tepa ne sont pas autre chose que cette volonté de favoriser les plus aisés pour donner de l’énergie à la société. Maintenant, bien entendu, qu’il y a le feu, il s’agit de faire appel aux pompiers et à des mesures d’urgence. Ces mesures, vous le savez, ont été élaborées après quelques semaines d’hésitation, mais définies par les Européens et, au bout du compte, je trouve cela bien. Elles sont apparues plus justes, plus opportunes que le plan qui avait été proposé par les Américains. Cette double idée proposée par le Premier Ministre britannique s’est révélée rassurante : Gordon Brown se déclarait prêt à soutenir les banques, y compris en entrant dans leur capital et en créant un grand système assurantiel pour les crédits interbancaires. Je l’ai soutenue. Nous avons voté « pour » à l’Assemblée nationale et au Sénat, et nous avons voté « pour » en particulier, je dis cela à mi-voix et avec prudence, car il existe une chance, à la différence du plan américain, pour que ces crédits n’aient pas à être mobilisés. J’ai dit « une » chance. Je n’ai pas dit une « grande » chance. Je n’ai pas dit une chance « certaine », mais il y a une « petite » chance que l’édification de cet ensemble de réponses apparaisse comme rassurante pour les acteurs des marchés. Nous avons soutenu ce plan, car nous savons ce qui serait autrement arrivé, c’est-à-dire le chaos et, dans le chaos, dans les faillites des banques, l’histoire nous l’a enseigné mille fois, tout le monde « trinque », tout le monde est victime et d’abord évidemment les plus faibles, dans leur emploi, dans leur sécurité dans leur épargne, dans leur retraite. C’est pourquoi je le dis, chaque fois que nous devrons faire preuve de responsabilité, nous le ferons. C’est notre charte, c’est notre manière d’être, c’est notre choix et c’est notre identité. Crise financière, crise économique, crise sociale. Maintenant, par conséquent, puisque nous n’avons pas pu éviter cette crise, il y a, devant nous, deux crises très importantes, l’une est la crise économique, l’autre est forcément une crise sociale. Je veux simplement dire ceci. Il y a une crise profonde dans l’esprit public, parce qu’il y a deux questions désormais dans tous les esprits, dans les esprits des Français qui ne font pas de politique, ceux qui se contentent d’écouter la radio le matin, ceux qui entendent tous les jours dans le discours de la veille que l’on a annoncé 10, 20, 30, 50, 400 milliards pour la crise, deux questions que les Français ressassent, qu’ils vont ressasser pendant les années qui viennent, deux questions qui mettent en colère. La première question est la suivante : où trouvent-ils tous ces milliards ? D’où sort cet argent, alors que l’on nous disait que l’État était ruiné ? Cette première question, ne vous y trompez pas, est une remise en cause de tout le travail qui avait été fait pour rendre l’État plus sobre et les comptes plus équilibrés. La deuxième question est la suivante : pour les banques, pour les banquiers, ils trouvent tout l’argent dont ils ont besoin, par milliards et sans limites, mais pour nous, pour notre vie, pour l’éducation, pour la santé, pour l’emploi, pour nos usines, c’est moins et parfois même c’est rien. Cette question, en période de plans sociaux, de chômage annoncé, de restrictions de toute nature, peut annoncer une crise sociale. Ces deux crises, crise morale et d’équilibre et crise sociale, sont devant nous et sont évidemment des conséquences de la crise, même si l’on en a évité les effets les plus dévastateurs. Tout cela, car la pédagogie de cette crise n’a pas été faite. On se contente de nous annoncer à grands sons de trompe que l’on va « refonder » le capitalisme. Passons d’abord sur la naïveté qui consiste à croire que l’on peut dicter à des mécanismes en œuvre depuis le début des temps de se plier à la volonté politique ou publicitaire et de le faire, non pas comme Jean Monnet imaginait de le faire, dans la conviction et la discrétion, mais de le faire par le bras de fer et la mise en scène. Je crois qu’il n’y a pas beaucoup de chances que cela fonctionne selon les méthodes qui sont, jusqu’à maintenant, celles de la communication. Toutefois, je veux aller plus loin que cette apparence. En réalité, on chante la vertu supposée d’un capitalisme idéal en clouant au pilori le capitalisme réel. On cherche à nous faire croire qu’il y aurait un capitalisme vertueux, le gentil capitalisme des affaires d’autrefois, perverti par le méchant capitalisme financier, et qu’il faudrait retrouver le premier en supprimant le second. Pour cela, évidemment, on brûle ce que l’on adorait hier. J’espère qu’il ne vous a pas échappé que Hugo Chavez a salué hier soir la « conversion socialiste » de Nicolas Sarkozy ! Ce n’est pas une galéjade et cela doit, entre nous, faire bien rigoler du côté du Fouquet’s… Cependant, au-delà de cette apparence un peu burlesque, baroque, je crois qu’il y autre chose, une tentative de redorer le blason du capitalisme comme modèle de société et ceci constitue une question pour nous et pour les Français, pour la France, pour l’histoire de la France, car les mots en « isme » ont, voyez-vous, une vertu. Ils disent l’essentiel. En un seul mot, ils forment un drapeau et un acte de foi. Capitalisme, libéralisme… humanisme Capitalisme… si les mots ont un sens, cela veut dire que, pour les sociétés, l’essentiel est dans le capital, dans l’accumulation du capital, dans la recherche du profit qui rémunère le capital. C’est le capital qui commande et c’est le profit qui donne le sens. Tous les discours visent en réalité à cela. Je regrette, mais, alors, que l’on nous explique que notre pays doit entrer dans le rang et adhérer à ce capitalisme soi disant refondé comme projet de société… Je regrette d’avoir à le dire à l’actuel Président de la République française, mais l’adhésion au capitalisme comme modèle de société est à peu près le contraire de ce que nous pensons, de ce que nous voulons, de ce que nous espérons ; le contraire de ce que nous avons cherché, pas seulement comme famille politique, mais comme nation française et comme civilisation européenne, depuis que nous avons conscience que l’Histoire ne consistait pas à subir, mais à construire. Croyez moi, si le Général de Gaulle était là, croyez-vous qu’il laisserait dire que le capitalisme, refondé ou pas, est l’idéal de la France ?!… Voyez-vous, les mots ne sont pas choisis au hasard et, voulez-vous que je vous dise, même le libéralisme est autre chose. Libéralisme, cela veut dire que l’on met en premier la liberté. On peut discuter du système. On sait qu’il a des défauts, des faiblesses, on peut avoir des nuances, mais au moins, on peut honorer la liberté, la mettre au nombre des valeurs. Cependant, excusez-moi, on ne peut pas mettre le capital et le profit au nombre des valeurs qui fondent une vie. Nous, nous savons ce que nous mettons en premier et, ce que nous mettons en premier, ce n’est pas l’argent, c’est l’être humain. C’est pourquoi nous n’adhérons pas au capitalisme. Nous adhérons à l’humanisme et nous considérons que, sur bien des points, le capitalisme est en contradiction avec l’humanisme. Cela dépend de ce que l’on veut transmettre aux enfants : le respect de l’argent ou le respect de l’homme. Cela dépend de ce que l’on voit en l’homme : uniquement un producteur et un consommateur -notamment un consommateur de crédit, ou une personne, une mère, un père, un éducateur, qui transmet, quelqu’un qui donne aussi et pas seulement qui vend et qui achète. Tout cela n’a rien d’abstrait. Je vais vous en donner un seul exemple d’actualité. Si vous faites adhérer la France au capitalisme comme projet de société, alors la question du travail du dimanche ne se pose pas. La question est réglée et tranchée d’avance. C’est plus pratique de pouvoir consommer tous les jours, sans répit du matin jusqu’au soir et de faire des grands magasins le but de la promenade dominicale, en tout cas de la promenade dominicale de tous ceux qui ont assez d’argent pour ne pas être obligés de travailler le dimanche. Cependant si vous considérez la question, non pas sous l’angle capitaliste, mais sous l’angle humaniste, alors vous voyez les choses d’une toute autre manière, et vous considérez comme fondamental, pas traditionnel, pas habituel, mais fondamental, qu’il y ait dans la semaine, un jour pour la plupart des Français durant lequel ils puissent montrer aux enfants qu’il y a autre chose dans la vie que de consommer et d’acheter, un jour où il est bien, où il est heureux, indispensable en tout cas, que tout le monde, en tout cas que le plus grand nombre possible, puisse se reposer, tout comme les vendeuses et les metteurs en rayon qui commencent à 5 heures du matin, qu’il y ait un jour sur sept au moins où la déesse Consommation puisse être ramenée à sa juste place et qui ne doit pas être la première, un jour pour le verbe Être et pas pour le verbe Avoir. J’étais cette semaine, comme Olivier Henno l’a rappelé, dans le Nord, à Lille, à Faches Tumesnil. Plus exactement dans une grande surface où j’ai passé la matinée, depuis 7 heures du matin jusqu’à midi, avec tout le personnel pendant leur travail. Les metteurs en rayon sont ceux qui font les paquets, ceux qui préparent longtemps avant l’heure d’ouverture de la grande surface. J’ai parlé avec eux et j’ai été très frappé car, pas trop fort, et même le plus doucement possible, car elles ne savaient pas très bien ce que leur Direction en pensait, les femmes me demandaient ce que je pensais du travail du dimanche. Comme je leur faisais la réponse que je viens de vous faire ou à peu près, elles me répondaient : « S’il vous plait, ne laissez pas faire cela car -disaient-elles- ce sont des histoires, le volontariat, car lorsqu’on est employé, si l’on doit élever des enfants et si on est seule pour le faire, on n’a pas le choix ». En plus, elles ajoutaient avec bon sens que, comme les euros dépensés le dimanche, on ne les dépensera pas les autres jours de la semaine, alors les emplois créés le dimanche seront supprimés les autres jours de la semaine. C’est un jeu à somme nulle, mais il y a des enfants qui ne verront plus leur maman pendant le week-end et, naturellement, ce ne seront pas les plus favorisés… Nous allons proposer aux Français un projet humaniste C’est donc le projet humaniste que nous allons porter devant les Français, l’affirmer et le défendre. En face du projet capitaliste des uns, du projet socialiste des autres, il y aura un projet humaniste et les Français choisiront ce qu’ils veulent. Ils choisiront leur orientation, les priorités et le destin de leur peuple. Ce projet, nous allons le développer devant eux durant tous les mois qui viennent, singulièrement bien sûr pendant la campagne européenne. Nous savons bien quels sont les piliers de ce projet. J’avais prévu de les énumérer devant vous et je ne vais le faire que très rapidement en raison de l’heure qui passe. La première affirmation du projet humaniste, on le disait, c’est qu’il y a, dans la société, des choses qui n’appartiennent pas à l’univers marchand et même, bien souvent, dans la vie, le principal est le non-marchand. Cela nous ramène à la question des services publics, à la question de l’éducation, à la priorité à l’éducation. Cela nous ramène à la question de la santé, à la question de l’aménagement du territoire et notamment de la défense de ces territoires qui sont aujourd’hui des territoires abandonnés. Si vous n’avez comme vision que le profit, alors vous aurez La Poste dans les grandes agglomérations et la privatisation conduira inéluctablement à l’abandonner dans les autres. Telle est la raison pour laquelle nous ne sommes pas d’accord avec la privatisation de La Poste. De même, les décisions concernant l’éducation sont prises d’abord en fonction de l’impératif pédagogique. Cela ne veut pas dire que l’on ne gère pas, bien entendu, mais ce qui est premier c’est l’impératif pédagogique. Le lycée, l’école maternelle, le RSA C’est, pour moi, une occasion de vous dire, au passage, que je m’inquiète de ce que prépare la réforme du lycée. À savoir la semestrialisation du lycée, le découpage en modules, en unités de valeurs, en options auxquelles il serait loisible de renoncer après quelques mois. L’éphémère éducatif, il a une apparence : le lycée à la carte, le choix. Je connais son apparence, je connais sa réalité et je connais ses conséquences. Sa réalité, c’est l’obligation de gagner des heures, de faire des économies et de diminuer le nombre d’heures d’enseignement effectivement délivrées devant les élèves. Mais sa conséquence -et c’est cela qui m’intéresse le plus- c’est que le savoir n’est plus considéré comme une continuité, une construction qui s’élabore au fil du temps et dont on sait que tout y participe à terme, même le cours que l’on trouvait ennuyeux sur le moment, et dont on s’aperçoit quelques années plus tard qu’en fait, il vous avait apporté quelque chose et que ce quelque chose vous aidait à comprendre autre chose. Cette démarche d’acquisition de la culture est en fait une démarche sédimentaire, une démarche de compréhension progressive du monde. Je regrette que l’on choisisse de faire sortir le lycée de la culture de la durée pour le faire entrer dans la culture du zapping. Cela nourrit pour moi deux inquiétudes. La première est culturelle et elle s’énonce simplement : le zapping est le contraire de la culture. La deuxième est le risque social, car on sait bien à l’avance qui va s’obstiner dans le « menu large », soutenu par sa famille, avec des stratégies élaborées de parcours scolaires, et qui va renoncer tout de suite, alléger sans cesse son « menu », car les familles ne seront pas derrière pour expliquer l’intérêt de ces options que l’on va abandonner. Pardon d’avoir fait cette remarque au passage, mais je trouve que le débat ne s’est pas noué autour de cette réforme du lycée, qui n’est pas un débat, selon moi, à périmètre corporatiste, mais un débat sur l’essentiel de ce que nous voulons transmettre à nos enfants. Je connais très bien la culture du zapping. C’est le lycée américain qui est, par ses performances, le plus mauvais de tout le monde occidental. Après, il se rattrape, car les Américains ont une institution qui s’appelle le Collège et conduit vers des universités de haut niveau, payantes. Je n’ai pas envie que l’on abandonne le lycée, dont je considère qu’il n’était pas, et de loin, ce qui marchait le plus mal dans le système éducatif français. Je voudrais que l’on se tourne vers la base, vers le moment où les fondamentaux sont reçus et acquis, ce qui m’amène à vous dire que je ne comprends pas les attaques contre l’école maternelle, car, si nous étions normalement une société efficace, c’est à l’école maternelle que nous devrions faire porter l’essentiel de l’effort. Vous avez compris, en entendant tous les intervenants éminents de ce matin, que le deuxième pilier du projet humaniste, c’est que ce qui est marchand doit obéir à un certain nombre de règles, c’est-à-dire échapper à la loi du profit maximum, et le faible doit être protégé par rapport aux autres. C’est la fameuse phrase de notre camarade Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui affranchit », d’où la nécessité de règles et d’institutions pour faire respecter ces règles. Le troisième pilier, c’est la justice. Et cela m’amène naturellement à vous rappeler ceci : décider que le financement d’une entreprise de solidarité comme le RSA reposera sur les épaules de tous les Français, à l’exception des plus riches d’entre eux, est une injustice dont aucun d’entre nous ne devrait pouvoir accepter même la formulation. Justice cela veut dire aussi justice dans la proposition de travail, dans la multiplication du travail. Mes chers amis, dans la période de chômage où nous allons entrer, permettez-moi de rappeler la proposition de consacrer les marges de manœuvres disponibles dans notre pays à l’offre de création de deux emplois sans charges dans les entreprises. On se mordra probablement les doigts de ne pas avoir été dans cette expérience au moment où reviennent les vagues de chômage dans notre pays. Cela m’amène naturellement à ma dernière partie dont vous comprendrez à quel point elle est si étroitement intime avec les autres. Nous avons besoin que l’Europe existe Si nous avons réellement un projet alternatif dans la globalisation, que ce projet est un projet fondé sur des valeurs, que c’est un projet humaniste, alors ce projet a besoin d’un support et ce support n’a qu’un nom possible, c’est l’Europe, à condition qu’elle décide d’exister. Nous allons entrer dans ce grand débat européen. Je voudrais vous dire quelques arêtes de la tâche qui est devant nous, car je suis absolument persuadé que l’Europe se défend du côté de l’idéal, mais qu’il faut avoir la lucidité de constater que notre adhésion à l’idée européenne est parfois passée trop rapidement par dessus un certain nombre de réalités qui sont essentielles pour notre peuple. Je voudrais simplement vous dire la première d’entre elles. Notre tâche préalable à la campagne, celle que nous devons assumer, nous, car nous sommes la famille politique des créateurs de l’Europe, est que nous devons assumer la réconciliation de l’action européenne et de l’idée nationale. Le principal obstacle que l’idée européenne a rencontré consiste en la perception, qui n’était pas celle des fondateurs, que l’Europe et la Nation étaient antagonistes. Or, pour moi, il importe de montrer qu’il n’en est rien. L’Europe est à la Nation ce que la famille est à l’individu. Il n’y a pas de famille s’il n’y a pas de reconnaissance de l’individu, de l’identité de la femme, de l’homme, de l’enfant qui la forment. Reconnaître l’identité de chacun, la diversité des caractères, la diversité des vocations, parfois la diversité des responsabilités, ce n’est pas s’empêcher de travailler ensemble, c’est la condition pour que l’on puisse travailler ensemble et que l’on reconnaisse que, tous différents que nous soyons, il y a des choses que nous ne pouvons faire qu’ensemble. Dois-je ajouter que cette reconnaissance de la différence des identités va, pour moi, encore plus loin que la reconnaissance première de l’identité nationale ? Je suis fier que nous soyons la famille qui soit capable de reconnaître l’identité nationale, l’identité régionale, les cultures différentes et la diversité de manière que nous soyons pleinement nous-mêmes pour pouvoir être pleinement avec les autres. Deuxièmement, il faut que nous acceptions l’idée -elle est difficile à accepter ces temps-ci, si j’en juge par ce que je lis- qu’il y a des choses que nous ne pouvons faire qu’ensemble, par exemple soutenir l’activité en période de récession. Cela est vain si c’est décidé dans le cadre national. Cela ne peut être décidé que dans le cadre européen. À la vérité, les grands défis exigent que nous soutenions et recherchions des solutions ensemble. Je vais énumérer un certain nombre de ces sujets qui ne peuvent être pensés que dans le cadre européen : – la croissance écologique, – la définition des impératifs, par exemple en matière de transport, – les normes en matière d’isolation, – la recherche d’énergies nouvelles comme l’hydrogène, si cela existe comme solution opératoire… Tout cela ne peut se faire que dans le cadre européen, tout comme le refus de voir les efforts de l’Europe dans ces domaines détruits par une concurrence faussée. Dumping écologique ou dumping social outrancier, cela ne peut se concevoir que dans le cadre européen. La régulation, imposée aux banques, aux établissements de crédit, l’assurance donnée aux acteurs économiques, aux déposants, aux épargnants, ne peut se concevoir en réalité, et on l’a bien vu ces dernières semaines, que dans le cadre européen et, en tout état de cause, dans le cadre de la zone Euro. Si on a besoin de régulation et s’il y a quinze régulateurs dans la zone Euro, il n’y a pas de régulation, c’est le chacun pour soi et rien pour tous. Nous avons donc besoin d’imposer et de bâtir une vision, une construction, une architecture qui soit celle de l’ensemble des Européens. Il en est de même que pour le plan d’aide aux pays les plus pauvres dont nous avons tellement besoin et sur lequel nous sommes en train de régresser. Cela ne peut se voir que dans l’ensemble européen. Je veux dire, à cet endroit, que je m’inquiète des lézardes apparues dans l’unité franco-allemande. Je m’inquiète de la manière dont nous traitons nos partenaires, y compris les plus amicaux, par des mises en demeure publique. Il n’y a pas d’Europe durable si l’on n’écoute pas les autres et si on ne les considère pas comme des égaux. Je ne pense pas qu’il soit fructueux de traiter l’Allemagne ou même le Luxembourg par des mises en demeure publiques, car ils ont, eux, été constamment à nos côtés durant les décennies qui viennent de s’écouler. Après tout, si eux aussi voulaient faire des mises en demeure publiques, ils auraient sans doute bien des choses à dire à notre endroit. Je cite par exemple le domaine de la séparation des pouvoirs, le domaine juridique, le domaine des médias, le domaine de la règle de la démocratie, le domaine des avantages fiscaux et on l’a rappelé ce matin. Ils auraient, eux aussi, bien des leçons à nous donner. C’est comme dans une famille et il faut commencer par considérer que l’on ne va pas clouer les autres au pilori si nous sommes destinés à vivre avec eux. De ce point de vue, j’espère que les semaines qui viennent verront des corrections de trajectoires. Voilà, en quelques mots, ce qu’est, pour moi, la nécessité du combat européen. Nous avons à assumer la plénitude de l’héritage de ceux qui ont formé et fondé l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui et nous avons à les dépasser. Nous avons à nous comporter à notre tour non pas en héritiers, mais en fondateurs, c’est-à-dire en femmes et hommes décidés à assumer l’idéal qui est le seul capable d’inspirer les fondations et, en même temps, de décrire, dans la réalité, dans le concret, ce que cet idéal doit apporter aux citoyens que nous sommes tous. Je suis très fier que, dans toutes les régions, des listes indépendantes du Mouvement Démocrate nous permettent de rencontrer les Français, de les persuader, de les convaincre et de les entraîner. Et je suis sûr qu’à partir de cela, nous n’allons pas vivre un rendez-vous électoral mais ce que nous avions toujours voulu et depuis longtemps pour notre pays et pour nos concitoyens, pour l’ensemble des pays européens, à savoir un choix de destin. Je vous remercie. «